Le ministère de l’Education nationale, de l’Enfance et de la Jeunesse a finalement présenté le 7 juillet 2023 les résultats préliminaires d’une étude sur les écoles européennes publiques, réalisée par des chercheurs du Luxembourg Centre for Educational Testing (LUCET) de l’Université du Luxembourg et du Service de Coordination de la Recherche et de l’Innovation pédagogiques et technologiques (SCRIPT)[1]. Sans surprise et comme il fallait s’y attendre, les résultats sont positifs, bien évidemment.
Créées à partir de 2016, ces écoles ont poussé comme des champignons aux quatre coins du Luxembourg. Partie intégrante du concept initial, le succès était préprogrammé, quitte à utiliser tous les moyens possibles pour le mettre en avant : indiqué récemment dans une réponse à une question parlementaire (QP 8025), le soi-disant succès a déjà été mesuré grâce aux inscriptions croissantes, le ministère ayant refusé tout type de comparaison avec le système scolaire traditionnel.
Lancée avec grand bruit, cette nouvelle étude tente de démontrer que les écoles européennes publiques permettent de réduire efficacement les inégalités scolaires et de prouver ainsi leur succès, s’il le fallait. Or, comme toujours, le diable se cache dans les détails, et l’interprétation des données laisse pantois. Le fait que les élèves inscrits dans les écoles européennes publiques proviennent généralement de milieux socio-économiques plus favorisés devrait en fait montrer que ces écoles n’ont pas réussi à réduire les inégalités scolaires.
En effet, selon le ministère de l’Éducation nationale, les écoles européennes publiques devaient permettre une réduction des inégalités avec un programme linguistique moins exigeant et plus flexible. Voilà pourquoi, la première école européenne publique a ouvert ses portes à Differdange, une commune avec un revenu médian des ménages parmi les plus faibles du Luxembourg.
Cependant, déjà en 2022, l’ONQS prévenait : « En intégrant quelques écoles européennes dans l’offre publique, la politique éducative transfère une partie de la responsabilité sociale à un système scolaire parallèle, [ce qui risque in fine] de conduire à un éclatement du paysage éducatif et d’entraîner une ségrégation sociale. »[2]
Cet éclatement du paysage éducatif a effectivement eu lieu avec la multiplication des écoles européennes publiques, augmentant encore la complexité de l’orientation scolaire. De plus, cette offre alternative est plus propice aux ménages aisés : l’étude présentée le 7 juillet révèle en effet que les écoles européennes publiques accueillent majoritairement des élèves issus de milieux socio-économiques plus favorisés.
Ce même rapport de l’ONQS indique également que « les inégalités existent, respectivement se transmettent déjà avant la scolarisation. […] Le lien entre la pauvreté des familles et la perte de chances au niveau scolaire est bien établi. » Si les écoles européennes publiques présentent donc moins d’inégalités scolaires, c’est bien parce que le recrutement se fait dans une partie socio-économiquement plus aisée, induisant plus d’homogénéité et donc moins d’inégalités dès le départ. L’une des clés du succès ?
Selon la nouvelle étude publiée, les élèves des écoles européennes publiques ont moins de retard scolaire. Or, même ce constat est sujet à caution. En effet, le système d’évaluation diffère de tout ce qui était connu jusqu’à présent. Il se base sur une note A et une note B : la note A reflète le travail quotidien des élèves, à savoir la concentration en classe, l’attitude positive face à la matière, le fait de faire les devoirs à domicile. La note B est composée de la moyenne des notes obtenues aux devoirs en classe. Ces deux notes sont de même prépondérance : la participation en classe et un cahier soigné ont ainsi une importance équivalente aux notes relatives à l’acquisition des savoirs. Dans ces conditions, il est facile de réussir son année et d’expliquer le taux de réussite de quasiment 100% au baccalauréat !
Il est également important de souligner que l’étude du ministère de l’Éducation nationale compare les écoles européennes à toutes les écoles luxembourgeoises (l’enseignement fondamental, et, pour le secondaire, de l’enseignement préparatoire — anciennement « modulaire » — à l’enseignement classique). Cette comparaison conduit à la conclusion erronée que les écoles européennes obtiendraient de meilleurs résultats que les écoles du système scolaire luxembourgeois. Il convient ici de noter que, pour le secondaire, les résultats de l’enseignement classique sont meilleurs que ceux des écoles européennes publiques. Il est également important de noter que cette étude se base uniquement sur les compétences en mathématiques et ne tient aucunement compte des compétences linguistiques des élèves des écoles européennes et du système scolaire luxembourgeois. Il semble en effet que le ministre craint les résultats découlant d’une comparaison des compétences linguistiques entre les élèves des écoles européennes et ceux du système scolaire luxembourgeois.
Dans leur rapport sur l’étude en question, les auteurs se doivent à un certain moment d’admettre les limites de leur étude, notamment le faible nombre d’élèves en fin de cursus européen. Cela ne semble en revanche en rien nuire à la communication sur le succès voulu des écoles européennes publiques. Comparer ce qui n’est pas comparable et faire abstraction de l’origine des inégalités sociales n’amoindrit, semble-t-il, nullement la « success story » prédéfinie.
Mais à y regarder de plus près, les écoles européennes publiques n’arrivent nullement à réduire les inégalités scolaires dans la population. Pire encore, elles tendent même à augmenter la ségrégation sociale et donc à nuire à la cohésion sociale du Grand-Duché du Luxembourg. La présentation en grande pompe d’une étude devant étayer le succès prédestiné n’a pas réussi à duper une grande majorité de la population. Plutôt que de continuer à promouvoir, à grands renforts de moyens et de publicité, de nouvelles écoles européennes publiques, le ministre de l’Education nationale serait mieux avisé de renforcer le système scolaire régulier afin d’avoir, comme promis, une école pour tous.
Communiqué par le syndicat Education et Sciences (SEW) de l’OGBL le 13 juillet 2023
[1] LUCET & SCRIPT, European Public School Report,2023, sur POLICY REPORT (uni.lu)
[2] ONQS, Orientations pour une réduction de l’impact des inégalités d’origine sociale dans le système éducatif, 2022, sur ONQS_Rapport-thematique_inegalites-sociales_WEB_single.pdf
Ce site utilise des cookies afin que nous puissions vous fournir la meilleure expérience utilisateur possible. Les informations sur les cookies sont stockées dans votre navigateur et remplissent des fonctions telles que vous reconnaître lorsque vous revenez sur notre site Web et aider notre équipe à comprendre les sections du site que vous trouvez les plus intéressantes et utiles.
Cette option doit être activée à tout moment afin que nous puissions enregistrer vos préférences pour les réglages de cookie.
Si vous désactivez ce cookie, nous ne pourrons pas enregistrer vos préférences. Cela signifie que chaque fois que vous visitez ce site, vous devrez activer ou désactiver à nouveau les cookies.
Nous utilisons des outils de suivi tels que Google Analytics 4 (GA4) et Google Tag Manager (GTM) sur ce site. Ces outils nous aident à collecter des informations anonymes sur la manière dont vous utilisez notre site, afin de nous permettre d'améliorer constamment votre expérience.
Veuillez activer d’abord les cookies strictement nécessaires pour que nous puissions enregistrer vos préférences !