Le logement au Luxembourg est en crise. Où sont les mesures anti-crise?

The child draws the house with chalk on the asphalt. Selective focus.Les prévisions négatives ont été sous-estimées. Les chiffres actuels concernant l’évolution des prix des terrains à bâtir et de l’immobilier dépassent les pires craintes. La fin de la crise n’est pas en vue.

La surcharge financière à laquelle sont exposés de plus en plus de ménages touche désormais plus seulement la majorité des locataires mais aussi les propriétaires, principalement les nouveaux propriétaires et les jeunes. Elle met en évidence les inégalités sociales, scandaleuses politiquement, car elle est le résultat inutile de politiques du logement chroniquement ratées par plusieurs gouvernements.

Il est un fait que même l’actuel gouvernement, en place depuis huit ans désormais, n’a pas réussi de quelque façon que ce soit à endiguer le développement de cette crise.
La raison en est sa politique des petits pas timides qui, par manque de volonté et de courage, n’est ni suffisante ni adaptée afin de lutter de manière ciblée contre cette situation de crise. Une crise qui, en comparaison, progresse elle à grands pas et qui, selon toute vraisemblance, affectera gravement la perspective pour de nombreux citoyens de pouvoir bien se loger et vivre pendant encore des années et probablement des décennies.

Compte tenu des évolutions au cours de ces deux dernières années, les personnes concernées n’ont que faire du fait que les ministres et leurs partis cherchent à réduire leur marche de manœuvres à ce qui a été retenu dans l’accord de coalition en 2018. La lutte contre la pandémie du Covid  ne figurait pas non plus dans l’accord de coalition. Et on ne la combat heureusement pas avec de l’aspirine, comme on le sait. Les personnes concernées ne se soucient pas non plus de savoir qu’on tente aujourd’hui, deux ans et demi (!) avant les prochaines élections nationales, de renvoyer à plus tard vers les programmes électoraux. Comme si la crise du logement allait conclure un accord sur un statu quo de 30 mois avec les gouvernants.

On ne peut pas revenir en arrière et effacer les décisions politiques passées, qu’elles aient été mauvaises ou manquées. Mais des contre-mesures politiques conséquentes peuvent atténuer progressivement les effets des échecs, voire les éliminer à moyen ou à long terme.
L’accent est mis sur des contre-mesures «conséquentes». Une autre façon de le dire serait: «Il faut prendre des mesures anti-crise».

Les manquements du passé déterminent l’ampleur des mesures anti-crise à prendre

Les négligences politiques dans le cadre de la lutte contre la spéculation foncière et immobilière rampante ne seront pas compensées par la réforme entreprise de la fiscalité portant sur les «Fonds d’Investissements Spécialisés (FIS)». Celle-ci est venue corriger une injustice fiscale flagrante, qui n’aurait jamais dû être introduite. C’est une bonne chose. Mais elle a tout au plus effleuré la partie émergée de l’iceberg spéculatif dans le logement. Rien de plus.

La mesure fiscale annoncée qui aurait dû être prise depuis longtemps pour lutter au niveau national contre la rétention des terrains à bâtir ou des appartements vides est nécessaire et importante. A condition que sa portée et sa profondeur soient perceptibles, elle peut venir atténuer partiellement la spéculation. Mais en visant principalement à stimuler la construction, elle contribue peu à la lutte contre la dynamique spéculative générale d’accumulation et de (re)distribution effrénée de terrains et de biens immobiliers qui se trouvent entre les mains et au profit de quelques-uns.

Le projet de loi proposée par le ministre du Logement visant à réformer le contrat de bail est totalement incompréhensible. Pour ne prendre qu’un exemple, il maintient le seuil de plafonnement des loyers détaché de manière anachronique et en contradiction avec les données fondamentales, tant des rendements économiques que de l’évolution des revenus de la population. Elle n’aura donc aucun effet positif sur le prix des loyers. Le ministre ferait bien de s’inspirer des propositions de la Chambre des salariés à cet égard, qui lie les prix des loyers et leur plafond notamment à l’évolution des revenus de la population.

Le projet de loi «Pacte logement 2.0» est très en retard sur ce qui est nécessaire

Ce projet de loi, s’il est voté tel quel, ne fera rien pour soulager la demande massive et refoulée de logements publics et de logements appartenant à l’État.

Après que le gouvernement ait déclaré, à juste titre, que le «Pacte logement 1.0.» avait échoué et n’avait rien apporté, on aurait pu penser que le projet de loi pour le «Pacte logement 2.0.» allait faire changer la donne.

Il contient des approches positives. Toutefois, il est également vrai que les approches positives ne sont que des approches et qu’en tant que telles, elles n’apportent pas de réponse satisfaisante au problème de la crise.

La mesure fiscale annoncée qui aurait dû être prise
depuis longtemps pour lutter au niveau national contre la
rétention des terrains à bâtir ou des appartements vides
est nécessaire et importante.

La première approche consiste à dire que, dans le cas de nouveaux plans d’aménagement, le pourcentage de terrain à bâtir à céder à la main publique doit absolument rester dans la main publique. La seconde est que ces terrains à bâtir doivent être cédé à la main publiques par des promoteurs privés sans compensation financière.

Passons maintenant à la critique. La deuxième approche, qui a été introduite par le gouvernement dans une proposition d’amendement au projet de loi initial, a  inutilement et contre-productivement un prix très élevé. En guise de «contrepartie» aux promoteurs privés, il est prévu de réduire massivement le pourcentage de terrains à bâtir à remettre au secteur public (nouveaux plans d’aménagement dans lesquels des terrains, auparavant non constructibles, sont reclassés en terrains à bâtir), comme le prévoyait le projet de loi initial. Deuxièmement, la densité de construction autorisée pour l’ensemble du plan de développement doit être augmentée de 10 % pour tous les nouveaux plans de développement (c’est-à-dire également pour ceux qui sont déjà désignés comme terrains à bâtir). Gagner des nez en or, y compris les montres de luxe, devrait pouvoir se poursuivre sans aucune restriction.

Ce que le ministre du logement essaie de vendre au public comme une situation «gagnant-gagnant» ne démontre pas seulement la réponse politique timide et inadéquate à la crise du logement. L’arithmétique fournie par le gouvernement motive la «contrepartie» décrite ci-dessus comme garantissant une marge bénéficiaire de 25% (!!!) pour les promoteurs privés! Les lobbyistes des promoteurs privés méritent le respect. Ils ont fait un bon travail. Au détriment du pourcentage de terrains à bâtir pour les logements à utilité publique.
Le ministre du logement et avec lui l’ensemble du gouvernement ont cédé à l’une des principales causes de la crise du logement, à savoir la chasse à la rentabilité dans le secteur immobilier.

La première réaction de l’OGBL, le 6 avril, a été d’intituler son rejet de manière pertinente par la phrase «Ceux qui se contentent de fabriquer des petits pains ne maîtriseront pas la crise du logement.»

La revendication du syndicat est très simple: le pourcentage de terrains à bâtir pour les logements à utilité publique prévu dans le projet de loi initial doit être remis sur table!
Et dans le cas de nouveaux plans de développement sur des terrains à bâtir existants, l’augmentation de la densité de construction autorisée doit conduire à une augmentation du pourcentage de terrains à bâtir destinés à des logements d’utilité publique.

Il est également regrettable que le projet de loi ne prévoie pas un pourcentage minimum précis de logements locatifs publics par rapport au pourcentage de terrains à bâtir destinés aux logements sociaux publics

La demande refoulée de logements locatifs publics est énorme. La loi devrait au moins prescrire une telle proportion minimale jusqu’à ce que la pression de la crise sur les ménages locataires se sera considérablement atténuée.

Depuis des décennies, la politique est à l’origine du déclin de la part des logements sociaux publics aux mains des pouvoirs publics

Elle aurait dû, depuis longtemps, entreprendre une stimulation conséquente du logement à coût modéré et une augmentation de son parc proportionnel, en raison du développement économique du Luxembourg et de la demande de logements supplémentaires qu’il a suscitée. Les gouvernements qui se sont succédés n’ont pas réussi à le faire et ont laissé le secteur du logement à la merci des soi-disant «forces du marché libre» au lieu d’entreprendre une correction du marché. Les conséquences de cet échec politique sont bien connues.

L’exemple de la politique de logement de la ville de Vienne, qui n’a jamais abandonné son modèle centenaire, mais l’a constamment élargi et adapté aux développements et aux besoins modernes dans le secteur du logement, démontre de manière impressionnante qu’un stock élevé de logements sociaux publics est non seulement la réponse indispensable aux besoins en matière de logement social, mais qu’il a également un effet de freinage sur la spéculation foncière et immobilière et sur la spirale des prix.

Bien entendu, la situation actuelle au Luxembourg ne peut être comparée à celle de la ville de Vienne qui, contrairement à Luxembourg, a donné la priorité au logement public. Mais un engagement politique et juridique déterminé dans un tel modèle est une voie cible pour surmonter les échecs historiques et mettre l’accent dans la lutte contre la crise du logement.

La promotion de la construction de logements sociaux: un investissement financièrement rentable!

Dans le débat sur la promotion du logement à coût modéré, les politiciens ont soulevé sans cesse l’objection des coûts financiers supposés élevés et du manque de financement des municipalités et de l’État. Cette objection est conçue de manière trop étroite et, à y regarder de plus près, elle s’avère fausse.

Comme on vient de le constater, au-delà d’un certain volume, le parc immobilier à coût modéré a pour effet de stabiliser les prix, dans notre cas de contenir l’explosion spéculative des prix.

En outre, en termes de finances publiques, les effets négatifs de la crise du logement ne peuvent être ignorés.

La surcharge des ménages par l’augmentation des coûts du logement induite par la crise réduit l’impact des prestations sociales publiques.

Des ressources financières publiques supplémentaires devront être affectées à la lutte contre la nouvelle augmentation du risque de pauvreté et d’inégalité sociale.

L’explosion des prix dans le secteur de l’immobilier accapare une part toujours plus grande des revenus de la population, que ce soit en raison du prix des loyers ou de la dette de crédit lors de l’achat d’un logement. La réduction du pouvoir d’achat n’aggrave pas seulement les perspectives matérielles des citoyens, mais a également un impact négatif sur le dynamisme économique du marché intérieur et sur ses charges fiscales.

Parmi les autres effets négatifs, citons entre autres la diminution de la marge de manœuvre financière pour des investissements respectueux du climat et de l’environnement dans le parc immobilier luxembourgeois, ce qui accroît la pression sur les aides financières publiques nécessaires pour atteindre les objectifs climatiques. Des aides financières qui, par ailleurs, manquent incompréhensiblement de composantes sociales.

Une politique cohérente de lutte contre la crise passe par une intervention fiscale sur la spéculation dans le secteur immobilier

Le processus de (re)distribution des terres et des biens immobiliers a atteint une ampleur qui n’est plus socialement justifiable.

L’accumulation effrénée de richesses entre les mains de quelques-uns et la volonté sous-jacente de rentabiliser les investissements en capital sont en contradiction avec les besoins et les intérêts du grand public en matière de logement et violent le droit fondamental au logement.

Cette dernière nécessite, comme le propose l’OGBL, l’introduction d’un impôt progressif qui s’applique à partir d’un certain niveau de propriété privée de terrains à bâtir et de biens immobiliers.

La réforme annoncée de l’impôt foncier offre une bonne occasion à cet égard. Il s’agirait non seulement d’une mesure sociale importante contre la spéculation et la distribution injuste, mais aussi d’un levier financier pour la promotion de la construction de logements à coût modéré appartenant à l’État. Dans ce contexte, il convient de veiller à neutraliser l’impôt foncier  sur les logements occupés par leur propriétaire ou de prévoir un abattement fiscal.

La nécessité de rendre la spéculation plus chère s’impose désormais comme une mesure anticrise indispensable. Quiconque se réfère aux programmes électoraux à venir perd et joue pour rien au moins trois ans et reporte à l’hypothétique résultat des élections législatives et à un accord de coalition tout aussi hypothétique en 2023. Ce n’est pas comme cela que l’on combat une crise!

Et ceux qui sont déjà en train de passer aux prochains programmes électoraux devraient aborder d’autres questions importantes, telles que le contrôle des prix et le plafonnement de la mise en valeur des nouveaux terrains à bâtir, ou les restrictions légales à l’achat spéculatif de terrains et de biens immobiliers en général et par des capitaux étrangers en particulier. Les sujets ne manquent certainement pas pour poursuivre la lutte contre la crise.