Pendant le temps que le lecteur prendra pour lire cet article, des multinationales auront déplacé environ 5 millions d’euros dans des paradis fiscaux. 600 milliards d’euros annuellement. L’économiste Gabriel Zucman estime la somme que les super-riches ont placée dans des paradis fiscaux à 7,9 billons d’euros (7 900 000 000 000 euros). Avec cette somme, on pourrait selon la Süddeutsche Zeitung «nourrir pendant 61 ans, tous les humains qui souffrent actuellement de la faim». Ou bien, on pourrait «envoyer tous les enfants de la terre qui n’ont pas accès à l’éducation dans une école aux standards allemands pendant exactement 4 ans et demi». D’autres études indiquent que l’évasion et la fraude fiscales coûtent tous les ans 1 000 milliards d’euros aux Etats membres de l’UE. La somme des bénéfices des multinationales qui est transférée artificiellement dans des pays à faibles taux d’imposition dépasse le budget global de l’Union européenne.
Les Panama-Papers, les Luxleaks, les Paradise-Papers et tous ceux qui suivront encore, livrent des aperçus intéressants de cette vorace prolifération cancéreuse qui se chiffre en billions d’euros et qui ne profite qu’à quelques-uns. Il s’agit d’un produit décadent des rapports de domination capitaliste qui s’oppose aux intérêts de la communauté mondiale et qui affaiblit énormément les perspectives contemporaines et futures.
D’un point de vue humain, rien ne peut légitimer ce scandale fiscal mondial. Forme la plus avancée de la répartition injuste de la richesse produite par le travail, celui-ci ne peut se justifier ni par les lois existantes, ni par les failles légales. De telles lois doivent être abolies et leurs failles colmatées. En matière de fiscalité, les mondes parallèles créés politiquement de façon massive au cours des dernières décennies entre les riches et propriétaires de capitaux et le reste de la population doivent être abolis politiquement. Nous avons besoin de cet argent dérobé pour nos investissements dans l’avenir, pour nos systèmes d’éducation et de santé, pour notre Etat-social et pour construire une société et une économie respectueuses de l’environnement.
Et il en va des rapports démocratiques dans notre société. Le principe de la justice fiscale ne doit pas virer à la mauvaise blague. Ainsi, dans la discussion actuelle, il n’en va pas seulement de la prolifération cancéreuse de l’évasion et de la fraude fiscales. Au premier plan figure également, et tout particulièrement en Europe, la fameuse compétition fiscale entre les pays de l’Union européenne qui est tout sauf socialement progressiste et durable. Dans presque tous les pays, celle-ci a entraîné une spirale de dumping fiscal qui a, d’une part, massivement réduit les marges de manœuvre budgétaires des Etats, d’autre part, augmenté en général la charge fiscale qui pèse sur la population laborieuse.
Toutes ces dernières années sont venues remarquablement illustrer les conséquences économiques, sociales et politiques auxquelles cela a mené. Chaque mesure légale supplémentaire visant à abaisser l’imposition des entreprises et du capital est aussi bien économiquement que socialement contre-productive et accentue les déséquilibres aussi bien en matière de répartition de la richesse produite qu’en ce qui concerne les crises politiques et démocratiques. La politique doit prendre une nouvelle direction.
Lorsque le président du Parlement européen, Antonio Tajani, propose de doubler le budget de l’Union européenne et propose pour ce faire de nouveaux moyens propres à l’UE comme par exemple une taxe sur les transactions financières, il s’agit d’un pas dans la bonne direction. Il n’y aura pas non plus de chemin qui passera à côté du développement d’une harmonisation et d’une transparence fiscale européenne. Le Luxembourg doit s’y préparer. Il n’y a pas d’alternative si une politique sociale et économique européenne commune tournée vers l’avenir a un sens.
L’OGBL a soutenu la réforme fiscale du gouvernement actuel sur beaucoup de points. Cela n’empêche pas notre syndicat de réclamer de ce gouvernement qu’il prenne encore trois mesures dans la dernière année de législature, pour davantage de justice fiscale, voire pour la préservation du pouvoir d’achat. La première concerne la libération intégrale de l’impôt sur le revenu pour les personnes qui touchent le salaire social minimum. La deuxième concerne l’introduction d’une adaptation automatique du barème fiscal à l’évolution des prix, contre la dite «progression à froid» qui phagocyte le pouvoir d’achat. Cette mesure devrait être effective au plus tard lorsque la prochaine tranche d’indexation tombera. Comment financer cela? En abolissant le déchet fiscal en matière de «stock-options».
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