Les syndicats répondent à l’attaque du gouvernement

Près de 1 000 délégués et militants de l’OGBL et du LCGB se sont rassemblés le 3 décembre dernier au Parc Hôtel Alvisse à Dommeldange pour envoyer un message clair au gouvernement ainsi qu’au patronat: toute attaque contre nos acquis sociaux entrainera une réponse conséquente des syndicats!

«Cher gouvernement, nous sommes ici aujourd’hui pour vous mettre en garde que nous défendrons de façon conséquente et avec tous les moyens dont nous disposons ce que des générations de syndicalistes avant nous ont acquis et su préserver. Nous sommes ici aujourd’hui pour demander qu’il y ait davantage de conventions collectives et non pas moins — des conventions collectives avec du contenu! Nous sommes ici aujourd’hui pour défendre nos droits de négociation, mais aussi parce que nous devons visiblement rappeler à notre gouvernement ce qui fait la force de notre pays. Et ceci, chers collègues, n’est qu’une première étape », a lancé la présidente de l’OGBL, Nora Back, à la tribune de la salle, aux côtés du président du LCGB, Patrick Dury, et de la secrétaire confédérale de la Confédération européenne des syndicats (CES), Tea Jarc, qui s’était spécialement déplacée à Luxembourg pour apporter son soutien à l’OGBL et au LCGB à l’occasion de cette première action en réponse à l’attaque du gouvernement contre les droits et acquis des syndicats.

Si les rapports entre les syndicats et le gouvernement étaient déjà quelque peu tendus depuis l’entrée en fonction de la coalition CSV-DP, la tension est soudainement montée d’un cran au cours des dernières semaines, notamment après que le ministre du Travail a présenté le 8 octobre dernier au Comité permanent du travail et de l’emploi (CPTE) son avant-projet d’un plan d’action national sur les conventions collectives qui contient des éléments qui risquent de remettre totalement en cause l’un des piliers les plus importants dans la formation des salaires au Luxembourg.

Le rapport salarial est un rapport asymétrique

Pourquoi la position du ministre Mischo est-elle problématique? En somme, il prévoit d’étendre la possibilité de négocier des conventions collectives dans les entreprises aux délégués non affiliés à des syndicats. La mesure pourrait sembler à première vue tout à fait anodine, mais elle aurait dans la pratique des conséquences pourtant dramatiques, remettant en question tous les acquis syndicaux dans les conventions collectives (grilles de salaire, congés supplémentaires, 13e mois, réduction du temps de travail, participation aux bénéfices de l’entreprise, etc) et mettant en danger plus largement toutes les avancées sociales majeures pour lesquelles les syndicats ont lutté (index, salaire social minimum, systèmes de sécurité sociale, prestations familiales, semaine de travail de 40h, congés légaux, etc).

Ceci, chers collègues,
n’est qu’une première étape

En effet, ce n’est pas pour rien que le droit du travail, l’OIT et même la directive européenne (que ce projet vise en principe à transposer) octroient aux syndicats la prérogative exclusive de la négociation collective en entreprise. Pourquoi? Tout simplement parce que la relation salariale, la relation qu’entretient un employeur avec ses salariés, n’est jamais symétrique. Et seul un syndicat dispose de l’indépendance et des ressources nécessaires pour engager un rapport de force avec un employeur, pouvant déboucher sur une convention collective ayant du sens, de la cohérence et contenant de véritables avantages pour les salariés. Il s’agit là d’un acquis important du droit du travail qui vise avant tout à protéger les salariés.

Cela fait des années que l’OGBL réclame une réforme de la loi actuelle, car celle-ci n’est en effet plus du tout adaptée à la situation présente. Depuis l’entrée en vigueur de cette loi, il y a 20 ans, l’économie luxembourgeoise s’est en effet largement diversifiée et le tissu économique du pays totalement transformé. Les réalités sur le terrain ne sont plus les mêmes: il y a désormais une multitude de petites et moyennes entreprises et il n’est tout simplement plus possible pour un syndicat de négocier une convention collective pour chacune d’entre elles, comme en témoigne le taux de couverture actuelle qui dépasse légèrement les 50 %, alors même que les conventions collectives sont pour les salariés les seuls garants pour de meilleures conditions de travail, de meilleurs salaires, davantage de justice salariale et une redistribution plus juste des richesses produites.
«Cette passivité politique du gouvernement et du législateur est responsable du fait qu’une part de plus en plus importante d’entreprises dans le pays, et donc de salariés, n’ont pas de convention collective. Cette passivité a fait le jeu du patronat et des actionnaires», explique Nora Back.

La Commission européenne a elle-même pris acte de cette évolution inquiétante, et a réagi avec sa directive qui vise justement à étendre le taux de couverture de conventions collectives dans les pays de l’UE à 80 %. «Et que fait notre gouvernement? Et que fait notre ministre du Travail?», interroge la présidente de l’OGBL. «Ils font comme s’ils ne vivaient plus en Europe. Non seulement, ils ignorent le contenu et l’orientation de la directive, mais pire encore, ils pervertissent le tout en son contraire! Le droit démocratique des syndicats de contracter librement et de pouvoir négocier devrait être réduit à néant. Ils veulent détériorer et affaiblir encore davantage la loi sur les conventions collectives, au lieu de l’améliorer. Ils dénaturent la définition de la négociation collective. Ils pervertissent la définition du dialogue social — des définitions claires sur le plan international, mais qui apparemment, juste ici au Luxembourg, ne le sont plus.»

Les syndicats ont des propositions

De leur côté, les syndicats ont développé ces dernières années plusieurs propositions qui permettraient justement d’accroitre le taux de couverture de conventions collectives sans pervertir évidemment l’esprit du dispositif. Tout d’abord, ils proposent de faciliter la négociation de conventions collectives sectorielles, en introduisant une obligation de négocier pour les fédérations patronales concernées lorsqu’un syndicat en fait la demande, comme c’est déjà le cas aujourd’hui au niveau de l’entreprise. Autre piste développée par les syndicats: l’introduction d’incitatifs encourageant les entreprises à conclure des conventions collectives. L’Etat pourrait par exemple conditionner l’octroi de marchés publics exclusivement aux entreprises disposant d’une convention collective. Les aides publiques dont bénéficient les entreprises pourraient elles aussi être conditionnées à l’avenir à l’existence de conventions collectives en leur sein.

«Nous avons beaucoup de bonnes idées sur la manière dont on pourrait y arriver. Celui qui n’en a pas, de bonnes idées, c’est notre ministre du Travail. Il a même inventé une nouvelle définition de la convention collective: la convention collective sans syndicat! Bravo. Le paradis pour le patronat. Le patronat qui négocie une convention avec soi-même. Je ne peux pas dire que c’est du jamais-vu, car il s’agit là du souhait secret des patrons depuis toujours. Mais ce qui est du jamais-vu, c’est qu’ils reçoivent le feu vert du gouvernement pour leurs attaques contre les salaires. Ça, ce n’est possible que dans un monde où le président de la Chambre de Commerce devient tout d’un coup Premier ministre.», indique Nora Back.

Le gouvernement tente de contourner les syndicats

Et ce n’est pas tout. Avec la décision unilatérale du gouvernement de pouvoir faire travailler les gens dans le commerce le dimanche toute la journée, les annonces ne laissant rien présager de bons en matière de redéfinition du temps de travail, les politiques catastrophiques par rapport aux frontaliers, une politique de santé à vue, une politique du logement au profit des gros promoteurs immobiliers et enfin la discussion scandaleuse autour des pensions: la liste des griefs syndicaux à l’égard du gouvernement est longue.

«Ce gouvernement parle beaucoup de dialogue social, mais ne le pratique pas. Ils essaient de nous exclure de toutes les instances officielles. Nous gênons, ils veulent nous écarter. Mais ils n’y arriveront pas! Nous l’avons déjà dit plusieurs fois: tout semble indiquer que le gouvernement ait pour objectif d’écraser les syndicats. Et nous sommes ici aujourd’hui pour leur montrer qu’ils n’y parviendront pas. Cela fait un an que le gouvernement est en place. Et ils disent de leur propre bilan qu’ils auraient apporté un nouvel élan. Quand je regarde dans cette salle, je constate qu’ils ont juste donner un nouvel élan à notre collaboration syndicale. Et ensemble, les deux plus grands syndicats du pays, ensemble en tant qu’OGBL et LCGB, rassemblés, avec nos plus de 125 00 membres, avec nos dizaines de milliers de militants et nos milliers de délégués, ensemble avec toute notre force de frappe, nous sommes plus forts que jamais. Et nous verrons bien qui écrasera qui!»

La manifestation du 3 décembre était un avertissement à l’adresse du gouvernement. Aussi bien la présidente de l’OGBL que le président du LCGB ont prévenu qu’il s’agissait d’une première action et tous deux ont fait savoir que si cela s’avérait nécessaire, ils n’excluaient pas d’aller, s’il le faut, jusqu’à la grève générale. Le ton est donné.

L’article a été publié dans l’Aktuell (5/2024)

Les syndicats répondent à l’attaque du gouvernement - Intervention de Nora Back, OGBL

D'Gewerkschaften äntweren op d'Attack vun der Regierung - Interventioun vum Nora Back, OGBL