Nouveau projet de loi relatif aux allocations familiales – Les considérations budgétaires l’emportent finalement sur la politique sociétale progressiste

En avril 2020, le Luxembourg s’est vu infliger une nouvelle claque de la part de la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE). Une claque qui vient désormais s’ajouter à une longue série de condamnations pour discrimination envers les enfants de travailleurs non-résidents, inaugurée avec celle incriminant la loi Biltgen qui était venue réformer en 2010 les bourses d’études et les allocations familiales.

Dans leur arrêt d’avril 2020, les juges de la CJUE ont estimé que la nouvelle formulation des articles 269 et 270 du Code de la Sécurité sociale (CSS), telle que retenue dans le cadre de la réforme des allocations familiales de 2016 est contraire au principe d’égalité de traitement. En effet, selon l’objectif affiché de la réforme visant à mettre l’enfant au cœur du dispositif (d’où le changement de nom de la Caisse nationale des prestations familiales en «Caisse pour l’avenir des enfants»), la loi en question consacrait le principe du droit à bénéficier des allocations familiales pour chaque enfant résident sur le territoire luxembourgeois, ainsi que pour les «enfants nés dans le mariage, les enfants nés hors mariage et les enfants adoptifs» de tout travailleur non-résident affilié à la sécurité sociale luxembourgeoise.

C’est ce dernier critère, c’est-à-dire la nécessité d’un lien de filiation pour les enfants de travailleurs non-résidents, qui a été jugé comme étant discriminatoire par la CJUE et le Luxembourg a par conséquent été invité à revoir sa copie. Effectivement, la loi exclut les enfants du conjoint ou du partenaire du travailleur frontalier pour lesquels il n’existe pas de lien de filiation, mais dont le travailleur assure néanmoins l’entretien.

Pour l’OGBL, le Luxembourg pourrait se conformer très facilement au jugement de la CJUE, en prévoyant tout simplement d’exiger que le travailleur frontalier pourvoie à l’entretien de l’enfant de son conjoint ou de son partenaire pour pouvoir bénéficier des allocations familiales. C’est d’ailleurs la voie préconisée par la CJUE.

La ministre de la Famille remet en cause l’objet même de la réforme de 2016

La ministre de la Famille, Corinne Cahen, n’a toutefois pas souhaité retenir cette solution. Le projet de loi déposé récemment va dans une toute autre direction. Faisant le choix politique de ne pas augmenter le nombre de bénéficiaires potentiels d’allocations familiales (et donc la charge qui en découle pour le budget de l’Etat), la ministre a donc décidé de faire marche arrière, remettant en cause l’objet même de la réforme de 2016, à savoir: mettre l’enfant au cœur du dispositif, faire de l’allocation familiale un droit personnel de l’enfant et non des parents.

Le projet de loi prévoit en effet le retour à une logique selon laquelle c’est l’affiliation à la sécurité sociale luxembourgeoise d’un des parents entretenant un lien de filiation direct à l’enfant qui ouvre le droit à l’allocation familiale (sur ce point, c’est un retour à la loi du 10 août 1959!). La notion du droit de l’enfant, qui prévaut depuis 1985, est donc tout simplement abandonnée. On peut d’ailleurs même s’interroger si, dans sa lancée, le gouvernement ne compte pas également renommer la Caisse pour l’avenir des enfants… !

Le projet de loi ne répond pas aux exigences de la Cour de Justice de l’Union Européenne

Le principe du lien de filiation redevient ainsi plus important que celui du droit de l’enfant. En réalité, il apparaît assez clairement que l’objectif politique poursuivi est avant tout d’éviter une augmentation du nombre d’enfants bénéficiaires.

Ceci a notamment pour conséquence — et le gouvernement le concède — que certains bénéficiaires actuels qui résident sur le territoire national se retrouveront exclus du bénéfice de l’allocation: les enfants d’étudiants ne présentant pas d’affiliation à la sécurité sociale, ceux de fonctionnaires européens ou de parents dont les revenus proviennent d’autres sources et qui ne sont pas affiliés à la sécurité sociale (par exemple des situations de congé sans solde). Selon l’estimation avancée dans le projet de loi, pas moins de 340 enfants bénéficiant actuellement de l’allocation perdront ainsi leur droit suivant les modalités du nouveau texte. Pour ces enfants, le projet de loi prévoit certes des dispositions transitoires, néanmoins tout futur enfant se retrouvant dans la même situation perdra définitivement son droit aux allocations. Le projet de loi tend donc non seulement à éviter une augmentation du nombre de bénéficiaires, mais à terme, également une réduction de ce nombre.

Notons également que l’exposé des motifs du projet de loi ne mentionne pas la situation des intérimaires rencontrant plusieurs interruptions d’affiliation et dont les enfants pourraient donc également être lésés par la nouvelle loi.

Enfin, il faut bien se rendre compte que le projet de loi ne répond pas aux exigences de la CJUE. En effet, une discrimination indirecte des enfants de travailleurs non-résidents persiste. Les enfants des partenaires ou des conjoints de travailleurs non-résidents, dont ces derniers assurent pourtant l’entretien, continueront en effet à en être exclus.

Il y a donc lieu de s’attendre à toute une nouvelle vague de recours pour discrimination de la part de non-résidents.

Le concept suranné de lien de filiation ne correspond plus du tout à la réalité actuelle

Pour des raisons purement financières, le gouvernement préfère continuer à se baser sur le concept suranné de lien de filiation, qui ne correspond pourtant plus du tout à la réalité actuelle qui comprend de nombreuses familles recomposées et qui continueront donc à être discriminées avec la nouvelle loi si elle est votée sous cette forme.

La réforme des allocations familiales de 2016, en renforçant la notion du droit de l’enfant, s’inscrivait dans le cadre de réformes sociétales progressistes que la coalition bleue-rouge-verte mettait en œuvre, en particulier à ses débuts. Il est vrai que les considérations financières n’étaient pas absentes déjà à l’époque — pour rappel, l’OGBL ne s’était pas opposé au principe du montant unique par enfant, mais au fait que dès le deuxième enfant, le montant perçu s’avérait être inférieur à l’ancien. Toutefois, avec ce nouveau projet de loi, le gouvernement démontre définitivement que les considérations visant à limiter les dépenses priment en fin de compte sur la mise en place d’un système d’allocations familiales qui réponde véritablement aux besoins et aux réalités des familles contemporaines.

L’OGBL demande le maintien du droit personnel pour les enfants de parents résidents au Luxembourg et l’abandon du critère du lien de filiation pour les enfants de parents non-résidents afin qu’une politique familiale véritablement progressiste puisse enfin voir le jour.

Communiqué par l’OGBL
le 15 juin 2021