Lettre du secrétariat européen commun de l'OGBL et du LCGB à l'adresse du Premier ministre Xavier Bettel, actuel président du Conseil de l'UE

REFIT ou l’annonce d’une dérégulation programmée

REFITMonsieur Xavier BETTEL,
Premier ministre,
Ministère d’Etat-Hôtel de Bourgogne,
4, rue de la Congrégation
L – 2910 Luxembourg

Luxembourg, le 10 juillet 2015

Concerne : L’agenda de simplification administrative et réglementaire de l’Union européenne

Monsieur le Premier ministre,
Nous souhaitions vous faire part de notre inquiétude au sujet de l’agenda de simplification administrative et réglementaire de l’Union européenne et en particulier de son programme REFIT – «Pour une réglementation affûtée et performante». Celui-ci se trouve au centre de l’agenda européen et consiste en une révision systématique de la législation visant à adapter les lois à leur finalité, ce par le biais de mesures de simplification, d’abrogation ou d’allègement des charges liées à la mise en œuvre du droit. L’ensemble de l’acquis communautaire, y compris la transposition du droit européen au niveau national, mais aussi tout nouveau projet de législation, de même que les actes non législatifs, seront ainsi soumis dans le cadre de REFIT à cette approche de simplification et de réduction des charges réglementaires et administratives.

En tant qu’organisations syndicales, nous ne nous opposons pas à l’amélioration des processus législatifs, ni à une limitation de charges administratives superflues, dans la mesure où cela permet de rencontrer plus simplement l’objectif et la finalité pour lesquelles les réglementations ont été mises en place. Mais nous ne pouvons accepter qu’à travers les différents programmes de la Commission européenne et en particulier le programme REFIT des initiatives soient prises qui affaiblissent la législation existante en matière de santé et sécurité au travail, d’information, consultation et participation des travailleurs, de droit des sociétés, ou encore de protection de l’environnement.

Nous constatons qu’en pratique, l’approche de la Commission, et les changements qu’elle souhaite apporter, dévie de son objectif initial et mène à une dérégulation de la législation européenne, et en particulier de l’acquis social communautaire, entraînant de graves conséquences pour la protection des travailleurs et de leurs droits. Dans son approche, la Commission présente toute législation comme un obstacle potentiel à la croissance, à la compétitivité, la réglementation étant vue comme un «fardeau» qui pénalise les entreprises et non plus comme un moyen de créer de la sécurité et de la protection pour les citoyens.

Plus concrètement, la Commission a présenté dans le cadre de REFIT, les premiers résultats de la cartographie des législations communautaires soumises à l’examen et a proposé une action de suivi des initiatives déjà réalisées, en cours de réalisation ou à venir. Toute une série d’évaluations ont également été programmées pour affaiblir une nouvelle fois les contraintes réglementaires dans des domaines tels que la santé et la sécurité au travail, le dialogue social, l’information et la consultation des travailleurs, la protection des travailleurs intérimaires, mais également l’environnement.

Sous le couvert de la simplification administrative, la Commission vise des réglementations sociales, comme la consultation des travailleurs en cas de licenciement collectif, de reprise de l’entreprise, de modification approfondie de l’organisation du travail. Toutes ces législations feront l’objet de futures évaluations dans le cadre de REFIT. La proposition d’instaurer une réglementation européenne minimale en matière de congé de maternité a également été retirée et d’autres règles relatives à l’information et à la consultation des travailleurs, mais aussi sur les droits des consommateurs et les normes environnementales, sont soumises au feu nourri des critiques.

Les accords négociés de manière autonome par les partenaires sociaux européens ne sont eux aussi pas épargnés, comme en témoigne notamment le refus de la Commission de donner suite à l’accord-cadre européen sur la protection de la santé et de la sécurité au travail dans le secteur de la coiffure. La Commission a annoncé sa décision sur l’accord dans le secteur de la coiffure sans en informer les partenaires sociaux concernés et base sa décision sur une évaluation incomplète du dossier puisqu’elle n’a même pas attendu les conclusions de l’évaluation qu’elle a elle-même lancée. Cet accord contient pourtant une série d’objectifs en matière de prévention et de protection de la santé sur le lieu de travail, d’environnement de travail, de normes de sécurité, de qualification du personnel, et d’harmonisation des conditions de travail (concernant p.ex. la manipulation des produits cosmétiques cancérigènes, la protection des voies respiratoires, etc.).

Autre fait alarmant, la Commission s’attaque désormais, au nom d’une « Meilleure réglementation », au fardeau réglementaire que représente à ses yeux le droit des Etats-membres de maintenir ou de prévoir des normes et des droits allant au-delà des exigences minimales imposées par la réglementation européenne. Les Etats-membres allant au-delà de ces exigences minimales lorsqu’ils transposent une directive en droit national, sont désormais accusées de « Sur-réglementer ». Nous condamnons cette pratique de la Commission qui désire faire du minimum (européen) le maximum (national), et qui représente une violation des traités. Avoir au niveau national des normes plus exigeantes que les normes minimales acceptées au niveau européen ne relève pas d’une sur-règlementation, mais constitue au contraire un objectif légitime pour tout État membre qui recherche le bien-être de sa population.

Le projet européen risque de devenir un projet poursuivant un nivellement vers le bas. L’article 9 TFUE ne stipule-t-il pas au contraire que, « Dans la définition et la mise en œuvre de ses politiques et actions, l’Union prend en compte les exigences liées à la promotion d’un niveau d’emploi élevé, à la garantie d’une protection sociale adéquate, à la lutte contre l’exclusion sociale ainsi qu’à un niveau élevé d’éducation, de formation et de protection de la santé humaine » ?

Ensemble avec la Confédération européenne des Syndicats (CES), nous voulons que l’Union européenne opte résolument pour une meilleure réglementation européenne – plus large – pour la protection des travailleurs et des normes sociales et environnementales. Les programmes REFIT et « Meilleure Réglementation» ne peuvent pas nuire à la protection des travailleurs, à leurs droits à l’information ou à la protection de l’environnement et des droits des consommateurs. Il faut aujourd’hui absolument remettre en cause le lien entre déréglementation et renforcement de la compétitivité internationale et replacer au centre du jeu l’intérêt général européen à travers une politique d’investissement durable et créatrice d’emplois de qualité.

Nous espérons que vous serez sensible au maintien d’un socle social fort au niveau européen, et que des initiatives seront prises au courant de la Présidence luxembourgeoise de l’UE afin de remettre les dossiers relatifs à la mise en place d’une « Meilleure réglementation » au centre d’un vrai débat démocratique ne confondant pas efficacité et dérégulation.

En vous remerciant d’avance pour l’attention que vous accorderez à la présente, nous vous prions d’agréer, Monsieur le Premier ministre, nos salutations distinguées.

Pour le Secrétariat européen commun de l’OGBL et du LCGB Asbl,

Véronique Eischen,
Membre du bureau exécutif de l’OGBL.
Vincent Jacquet,
Secrétaire général adjoint du LCGB.