La divulgation des derniers résultats de l’étude PISA ramène à nouveau son lot d’analyses et d’explications, mais aussi d’adaptations, de solutions et de nouvelles réformes. Si les premiers et médiocres résultats avaient eu un effet choc, entre-temps, ces derniers sont accueillis dans une indifférence croissante de la population. En première ligne, les enseignants anticipaient ces scores en chute libre et ont vu avec résignation les réformes et contre-réformes se profiler, sans pour autant que le problème ne soit pris à la racine.
L’accord de coalition qui trace la politique éducative pour les prochaines années reste dans la mouvance néolibérale, utilisant une interprétation très spécifique de l’accompagnement scientifique évoqué. Cette approche ignore complètement les causes des résultats de l’étude PISA (ou des autres études d’ailleurs), et évite de poser les bonnes questions. Pourtant, d’autres pays semblent choisir une voie différente.
En France, le fraîchement promulgué ministre de l’Education a choisi de revenir aux fondamentaux : revoir et simplifier les programmes en primaire et labelliser les manuels, réinstaurer le redoublement, conditionner le passage au collège, promulguer les groupes de niveaux, mettre fin au correctif académique pour les notes du baccalauréat — ces solutions se lisent comme un tournant conservateur. Le tout est agrémenté par l’utilisation de l’IA pour les élèves en difficulté et plusieurs autres mesures dans le vent pour bien démontrer qu’on est en route vers le 21e siècle et non de retour au 19e…
Le ministre français veut un retour de l’exigence à l’école, de ce côté de la frontière, les enseignants luxembourgeois sont incrédules : est-on encore en droit d’exiger à l’école ?
L’académie française définit « exiger » comme « contrainte à laquelle on doit se plier » et/ou « ce qu’un individu, un groupe, une collectivité exige ou attend d’autrui ». Le concept d’exigence ne saurait donc fonctionner qu’avec une autorité en droit de formuler cette exigence. Or au Luxembourg, les réformes de la dernière décennie ont privé peu à peu l’école de cette autorité.
En effet et indépendamment des évolutions sociétales, le choix politique a fait évoluer depuis la réforme de 2009, les « instituteurs » (historiquement porteurs d’autorité) ainsi que les enseignants du secondaire en « agents de la fonction publique dans le cadre de l’enseignement » et ce, à des fins de gouvernance. De fait, sous cet angle managérial, l’implémentation d’un changement s’effectue plus facilement dans un contexte fortement hiérarchisé qui relègue le travailleur au contact de la matière première à un simple exécutant. Se basant sur des théories organisationnelles néolibérales, la production doit s’adapter aux vœux et souhaits des consommateurs, de nombreux experts internes et externes et audits divers encadrant le processus.
L’école luxembourgeoise a vu foisonner en très peu de temps une multitude d’experts, d’institutions autour et d’audits externes réalisant un nombre incalculable d’évaluations (la seule chose échappant aux évaluations étant la réforme elle-même). Énormément de concepts parallèles et redondants sont développés et des propositions d’amélioration à la chaîne arrivent dans les écoles, sans veiller à leur possible implémentation. D’autre part, un droit d’implication des parents dans de nombreux domaines (allongement de cycle, amendement du PDS, propositions CI, encadrement CC, …) a été instauré par la loi. Le cumul des deux facteurs engendre une décrédibilisation complète de l’expert de terrain, tout en lui laissant par contre l’entière responsabilité. Cette érosion voulue de l’autorité à l’école et de l’école et la permissivité imposée (au lieu de l’exigence) fait courir un risque à notre société, et commence d’ailleurs à avoir des répercussions sur les forces de l’ordre et la magistrature.
Exigence, excellence, goût de l’effort, du travail bien fait, rigueur, conséquence, tous ces concepts (ces valeurs, même) ne collent plus ni à l’image de l’école fondamentale publique ni à l’image des lycées publics du Luxembourg, telles dépeintes par la politique actuelle.
Pour des parents exigeants exigeant une école exigeante, la création des écoles publiques « internationales » offre une alternative apparemment intéressante ; les mieux lotis pouvant par ailleurs miser sur les écoles privées, soutenues et souvent même subventionnées par le ministère.
Or, tout bon enseignant se doit d’être exigeant avec ses élèves, condition obligatoire pour amener ces derniers au summum de leurs capacités. Cependant, la tendance actuelle dans l’éducation nationale luxembourgeoise à prioriser le vivre-ensemble (coûte que coûte) sur la transmission du savoir (qui n’exclut en rien le vivre-ensemble) tout en exigeant (!) de l’école d’augmenter son efficacité et les performances des élèves impose aux enseignants de solutionner la quadrature du cercle — la vague de burn-out qui submerge ceux qui ont choisi de rester au contact des élèves en dit long sur la faisabilité de cette mission (impossible).
Allons-nous au Luxembourg attendre les résultats de la prochaine étude pour remettre les apprentissages au centre de l’école ? Ou ces résultats sonneront-ils enfin le glas de la mort programmée de l’école publique, laquelle sera alors démantelée et privatisée pour d’obscures raisons d’efficacité qui ne cachent que bien mal la monétarisation de l’éducation sur le modèle anglo-saxon ?
L’accord de coalition tait les vrais enjeux et continue le travail de sape de l’école publique, maniant le bâton et la carotte tout en augmentant sournoisement la pression sur l’école. Celle-ci se retrouve dans l’impossibilité d’accomplir sa mission première, peu à peu reléguée au second plan. Refuser l’autorité à l’école n’est nullement une avancée démocratique, mais plutôt la voie tracée vers l’autoritarisme — phénomène dont on chargera sans doute à nouveau l’école de lutter efficacement contre et sans autorité.
Communiqué par le syndicat Education et Sciences (SEW) de l’OGBL, le 8 janvier 2024
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