Entretien avec Francis Capitani, membre de la délégation luxembourgeoise de l’OGBL pour les affaires internationales.

Avec 40 ans d’expérience en banque, dont 30 en tant que membre de l’OGBL, Francis Capitani est un vétéran doté d’une excellente expérience et carrière au sein du secteur financier au Luxembourg. Depuis deux ans, il est délégué permanent, avant quoi il était membre du comité mixte, puis président de la section OGBL de la BGL BNP Paribas, poste qu’il occupe à ce jour. En tant que délégué élu il participe activement aux diverses réunions et est membre du Conseil d’Administration de la banque depuis 10 ans. En dehors de la banque, il est aussi membre de la Direction Syndicale du Secteur Financier au sein de l’OGBL. Les 23 et 24 août 2023, Francis s’est déplacé à Philadelphie aux USA pour participer à l’un de plus importants événements syndicaux dans le monde, UNI Global Union Finance.

Francis, pourrais-tu nous en dire un peu plus à propos d’UNI GLOBAL ? De quoi s’agit-il ?

UNI Global Union est une organisation internationale qui représente les travailleurs du monde entier dans divers secteurs, notamment celui de la finance. L’organisation travaille en collaboration avec ses affiliés, qui sont des syndicats nationaux et régionaux, comme l’OGBL, pour coordonner des actions conjointes à l’échelle mondiale. UNI représente donc plus de 20 millions de travailleurs issus de plus de 900 syndicats. UNI Europa Finance représente 100 syndicats et 1.5 millions de travailleurs dans les secteurs des banques centrales, des banques et des assurances en Europe.

Mais alors quels sont les objectifs et les buts poursuivis par UNI ?

UNI Global Union se concentre sur des questions telles que les droits des travailleurs, la justice sociale, l’égalité des sexes, la sécurité au travail, la protection des droits de l’homme au travail, la durabilité et d’autres enjeux liés au monde du travail. UNI essaie d’améliorer la diffusion d’informations entre syndicats et entre pays. Dans certains pays, il est très important d’aider les syndicats locaux à s’organiser ou à faire des compagnes vues que les lois sociales ne sont pas pareilles d’un pays à l’autre.

Revenons alors à Philadelphie. Vous y avez assisté les 23 et 24 août à la Uni Global Finance Conference. De quoi précisément s’agit-il?

En effet, les représentants des syndicats de la finance de 65 pays se sont réunis pour les conférences d’UNI Global Union Finance à Philadelphie. Sur le programme, on avait les élections pour de nouveaux dirigeants et l’adoption d’un plan d’action qui s’attaque aux principaux problèmes auxquels sont confrontés les travailleurs de la banque et de l’assurance dans le monde entier.

Ensemble avec nos collègues européens d’UNI Europa Finance, nous nous sommes rencontrés le 23 août, avant d’être rejoints par nos collègues du monde entier le lendemain pour un ordre du jour chargé, axé sur la négociation collective, la finance durable, la transition juste et l’utilisation de la technologie dans le secteur de la finance. Le troisième jour, on a rencontré une délégation US du secteur financier américain. La nouvelle Présidente d’UNI Finance est Anna Maria Romano, du syndicat italien Fisac Cgil.

Pourquoi Philadelphie ?

Le congrès global est organisé une fois tous les 4 ans. Vu qu’il s’agit d’une organisation qui opère au niveau mondial, le siège d’UNI est d’ailleurs en Suisse, les congrès sont toujours organisés dans un lieu différent. La dernière conférence s’est tenue en 2019 à Torremolinos.
Philadelphie a été choisie à cause de son rôle dans la création du mouvement syndical. Et bien sûr pour son importance symbolique de la ville où la Déclaration d’indépendance et la Constitution des USA ont été signées.

Pourquoi est-il important que les syndicats nationaux s’organisent au niveau international ?

Regarde le Luxembourg ! Notre marché est fortement dominé par des entreprises étrangères ou des groupements multi­nationales. Si on veut les influencer, il faut les approcher à un niveau international. Il faut se regrouper à travers de multiples pays pour parler d’une seule voix et pour assurer un vrai impact sur les décisions que ces entreprises prennent. On nous demande souvent pourquoi il est important de rejoindre un syndicat au Luxembourg. Parce qu’ensemble, on est plus fort, on nous entend mieux, on réussit à changer les choses. En tant que syndicat, être membre d’UNI, c’est la même chose. On multiplie notre force et on assure un impact maximum qui a une vraie influence sur le travail quotidien des gens, aussi dans le secteur financier au Luxembourg.

Tu nous as parlé d’un plan d’action qui aurait été voté. Tu peux nous en dire un peu plus ?

Oui, il s’agit d’un plan d’action pour la période 2023-2027. Je vais t’épargner tous les détails puisqu’il s’agit d’un plan en 12 points comme la Réglementation des marchés financiers, le renforcement du pouvoir au sein des entreprises multinationales ou la garantie des droits relatifs aux données numériques. Plutôt un mot par rapport aux priorités de ce plan d’action.

Ils sont au nombre de trois : l’importance vitale de la négociation collective, la finance durable et les conséquences liées à la numérisation et l’IA.

La négociation collective reste la pierre angulaire de l’approche des syndicats du secteur financier pour garantir les droits des travailleurs et les conditions de travail équitables. En unissant les travailleurs, les syndicats d’UNI continueront à promouvoir l’équité et une compensation adéquate pour leurs contributions. En ce qui concerne la finance durable, on réalise de plus en plus qu’il est vital que les travailleurs du secteur financier s’engagent à promouvoir des pratiques écologiques et socialement responsables au sein de leur industrie. La durabilité nous permet de jouer un rôle important dans la création d’un secteur financier bénéfique pour la société et l’économie réelle, en encourageant une approche éthique et respectueuse de l’environnement dans les opérations financières.
Face à la numérisation rapide et à l’essor de l’IA, il faut orienter le secteur en amont de ces tendances technologiques. Il faut chercher à anticiper les problèmes en favorisant un secteur diversifié et inclusif. On a toutes les chances pour réussir cet exploit, grâce à notre expertise et aux conventions collectives solides qu’on négocie pour nos membres.

Je suppose que c’est également à ce niveau que l’impact international est important. On a des expériences dans ce contexte au Luxembourg ?

Oui, des accords à portée multinationale ont déjà été signés, p. ex. pour le groupe BNP Paribas, UNICREDIT ou la Société Générale et le Crédit Agricole. Mais il ne faut pas en rester là. Les accords doivent continuellement évoluer en fonction des réalités de notre industrie et il faut en signer de nouveaux. Et puis il ne faut pas oublier un élément très important. Tous les pays, dans lesquels opèrent ces entreprises, ne profitent pas des mêmes acquis que nous au Luxembourg. Ici, il faut jouer la solidarité internationale. A travers ces accords internationaux, nous concrétisons une influence déterminante sur les conditions des employés du groupe dans des pays dans lesquels il n’y a pas de convention collective donc les employés du groupe ne profitent pas des avantages négociés. Les lois sociales ne se ressemblent pas d’un pays à l’autre.

Comment peut-on exercer une influence au niveau international en tant que représentant du personnel d’une banque établie au Luxembourg.

En participant à ce type d’événement, en partageant ses expériences personnelles et en apprenant de celles des autres. On est donc déjà en train d’influencer les organisations syndicales au niveau international par notre présence lors de ces conférences. Mais cela ne se passe pas seulement une fois tous les 4 ans. Via UNI, on a plusieurs réunions de travail qui se déroulent à Bruxelles. On y a l’occasion de parler avec des représentants de l’Union Européenne et d’influencer directement leurs opinions.

Rester isolé dans un pays n’est jamais une bonne idée, comme le slogan le dit l’Union fait la Force et c’est exactement ce qu’apporte UNI au niveau Européen et Mondial.

Comment pouvez-vous mettre en œuvre des mesures prévues dans le plan d’action ?

On a les négociations pour une nouvelle Convention Collective des Banques au Luxembourg qui vont commencer et qui sont déjà en préparation. Par le biais de cette CCT, on peut veiller à respecter et mettre en place des mesures qui sont prévues par le nouveau plan d’action. Je ne peux pas garantir qu’on va directement pouvoir mettre en place TOUS les points, mais le plan d’action s’étend sur 4 ans donc on aura encore l’occasion de faire des améliorations au courant de cette période.

Quelle est la différence entre les problèmes et les défis spécifiques du secteur financier européen et ceux du reste du monde ?

On a l’avantage dans le secteur financier européen d’avoir un contact permanent avec les instances européennes via nos réunions avec l’Union Européenne à Bruxelles. Il faut aussi savoir que nos lois sociales sont certes pas parfaites mais basées sur les principes démocratiques. De plus on a une culture sociale qui nous permet de pouvoir nous organiser par le biais de syndicats forts représentés par leurs représentants élus par les travailleurs du secteur financier. Les institutions européennes favorisent un secteur diversifié et inclusif.

Dans le reste du monde ceci n’est pas toujours le cas et je dirais que ce n’est presque jamais le cas. Les lois sociales dans d’autres pays sont assez faibles et dans certains cas presque inexistants. On a entendu les témoignages des représentants d’Amérique du Sud, Inde, Asie etc. qui nous ont fait savoir que dans leurs pays ils ne sont souvent absolument pas protégés et ont des impacts négatifs sur leurs salaires, qu’ils peuvent même perdre leur emploi si la direction s’aperçoit qu’ils s’engagent dans un mouvement syndical. UNI Finance continuera à soutenir et à donner la priorité à la syndicalisation. Seule une base d’affiliés solide garantit en fin de compte des syndicats forts et l’influence des travailleurs. Les travailleurs du secteur financier doivent avoir le droit de s’organiser et de mener des négociations collectives.

L’événement s’est déroulé aux États-Unis -> Quelle est la situation de l’organisation syndicale dans le secteur financier américain ?

Les États-Unis reflètent bien ce que j’ai dit pour ta question précédente. Les lois sociales aux États-Unis sont assez faibles et plutôt en faveur des Banques et Assurances qui voient d’un mauvais œil lorsque les employés s’organisent pour pouvoir mener des négociations collectives avec une délégation qui représente les droits des employés de l’entreprise. Dans les Banques il y a qu’une faible présence de délégation du personnel. Seule une délégation de Wells Fargo était présente à Philadelphie, délégation qu’on a rencontrée personnellement le vendredi matin

Quels sont les défis auxquels ils sont confrontés ?

Leur principal défi est qu’ils ont du mal à s’organiser. Le système de composition d’une représentation syndicale auprès d’une société aux États-Unis prévoit qu’il faut avoir l’accord d’au moins 50 % des travailleurs en faveur d’une élection sociale et ceci pas seulement en nombre absolue mais 50 % du siège social et 50 % dans toutes les agences et filiales dans le pays. Il faut aussi savoir que les délégués aux États-Unis ne sont pas protégés comme chez nous, si l’entreprise le décide ils peuvent être renvoyés que parce qu’ils font du travail syndical. Des accords-cadres mondiaux signés avec UNI dans des groupes agissant sur le sol américain seraient très importants pour les syndicats en Amérique et les aideraient à négocier des conventions collectives.

Merci Francis, pour cet interview.