La situation financière du régime général d’assurance pension se trouve dans une situation financière « plutôt confortable ». Cette déclaration peut paraître a priori bien étonnante compte tenu de l’agitation politique et des discours alarmistes ambiants qui entourent la question des pensions au Luxembourg. C’est pourtant bien ce qu’a conclu l’Inspection générale de la Sécurité sociale (IGSS) dans son dernier bilan en 2022, tout comme elle l’avait déjà fait dans son avant-dernier bilan en 2016.
Mais si la situation financière est « plutôt confortable », sur quoi s’appuient donc tous ces discours récurrents nous prédisant une catastrophe éminente si le régime des pensions n’est pas prochainement « réformé » ? La réponse est à chercher du côté des projections financières qui nous annoncent depuis des décennies déjà ce fameux « mur des pensions » sur lequel nous risquons de nous fracasser si rien n’est entrepris.
Penchons-nous donc sur ces fameuses projections. Le premier constat qui s’impose est que ces projections doivent toujours être abordées avec beaucoup de prudence, car elles reposent en effet sur des hypothèses très imprévisibles. Et chaque mise à jour des hypothèses entraîne des conséquences significatives au niveau de ces résultats, soulignant l’incertitude et la non-fiabilité inhérentes à ces projections. Cette sensibilité aux changements d’hypothèses est d’autant plus prononcée lorsque l’horizon de projection s’allonge.
Mais cette imprévisibilité affecte aussi largement les prévisions à court et moyen termes comme on l’observe dans le cadre des différents avis et bilans techniques publiés depuis le début des années 1980. En effet, en comparant les projections et les évolutions réellement observées par la suite, il apparait que les projections récurrentes ont généralement sous-estimé l’évolution des recettes (et donc du solde) du régime d’assurance pension et ceci parfois de manière flagrante et difficilement explicable au regard du contexte économique de l’époque : les projections étant en nette contradiction avec la trajectoire enregistrée antérieurement.
En comparant par exemple les projections retenues lors de la réforme de 2012 avec le bilan publié 10 ans plus tard par l’IGSS, nous constatons ainsi que :
1) la date à laquelle la prime de répartition pure était censée dépasser le taux de cotisation global a été repoussée d’environ 10 ans
2) la date à laquelle la réserve doit passer en dessous du seuil légal de 1,5 fois le montant annuel des prestations a été repoussée de 15 ans
3) la date à laquelle la réserve est censée être totalement épuisée a été repoussé de 13 ans !
Source: IGSS
Les fluctuations économiques, les changements politiques, les événements sociaux et les facteurs environnementaux peuvent tous influencer les données sur lesquelles reposent les projections. Par conséquent, il est crucial de reconnaître les limites de ces projections et d’adopter une approche prudente dans leur interprétation et leur utilisation dans la prise de décision.
Ces limites ont à nouveau été mise en évidence dans la nouvelle édition du Rapport sur le vieillissement publiée en avril 2024. En effet, dans ce Rapport sur le vieillissement, l’évolution des dépenses de pension est projetée en fonction de deux scénarios démographiques qui, selon les auteurs des scénarios seraient certainement à considérer comme scénarios centraux, et qui ne divergent qu’en leur hypothèse de migration (relation bidirectionnelle pour l’une et unidirectionnelle pour l’autre entre migration et développement macroéconomique) et de plafonnement de la part des frontaliers sur le marché du travail (plafond ou non à 50% du travail frontalier). Les différences entre les résultats des projections, élaborées selon deux scénarios distincts, sont immenses.
Source: 2024 Ageing Report – Country fiche for Luxembourg
Dans le scénario basé sur les hypothèses démographiques d’EUROSTAT, les dépenses de pensions (régimes général et spéciaux) devraient augmenter d’actuellement 9,2% du PIB à 17,5% du PIB jusqu’en 2070 – soit une hausse de 90% sur une période de presque 50 ans. En revanche, avec le scénario démographique du STATEC, la hausse des dépenses de pensions devrait se limiter à moins de 40% sur la même période – une évolution deux fois moins forte.
Une telle divergence des résultats en fonction du scénario retenu souligne à quel point les projections à long terme sont sensibles aux hypothèses et ainsi, à quel point l’incertitude est forte quant à l’évolution financière à long terme du système.
Le cadre du système général prévoit des périodes de couverture de dix ans avec des bilans intermédiaires tous les cinq ans. Le taux de cotisation est fixé de manière à garantir qu’à la fin de la période de couverture la réserve légale du régime de pension reste assurée. Notons que les projections sur la situation financière du régime général se sont tous démontrées comme étant excessivement pessimistes.
Il est primordial de continuer à respecter cette période de couverture de 10 ans et d’éviter de baser le discours sur des projections à plus long terme. Avec un bilan intermédiaire tous les 5 ans, la période de couverture n’est ni trop longue en ce qui concerne la prévisibilité, ni trop courte pour permettre une réponse réfléchie aux défis futurs.
Compte tenu de l’incertitude qui est liée aux données à moyen et long terme, il est, par conséquent, fort problématique, voire irresponsable de construire des réformes du régime d’assurance pension sur base de projections à très long terme augurant d’une dégradation potentielle de la situation financière du régime.
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