Le retour du président … après 41 mois ou pourquoi la protection contre le licenciement des délégués du personnel doit être renforcée

André Roeltgen, secrétaire général de l’OGBL
André Roeltgen, secrétaire général de l’OGBL

12 novembre 2008. Jour des élections sociales. La volonté des électeurs parmi les 3 170 employés de la chaîne de supermarchés Cactus S.A. s’est clairement exprimée dans les urnes : OGBL 68 %, «Alternativ Waïss Löscht» 22 %, LCGB 10 %. Sur la liste de l’OGBL, Patrick Ourth, déjà président de la délégation du personnel lors du mandat 2003-2008, obtient la majorité des voix. Les délégués du personnel fraîchement élus ont compris la mission que leur confie le personnel et élisent Patrick Ourth comme président de la nouvelle délégation pour les cinq prochaines années. Il représente pour la première fois l’ensemble du personnel en vertu de la nouvelle loi relative au statut unique.

Dans les mois qui suivent, la délégation effectue son travail de manière tout à fait classique, ce qui n’est pas du goût de la direction de la société Cactus S.A. Le président est congédié et doit quitter ses fonctions. Cet exemple est supposé montrer qui est maître à bord demeure au sein de la société Cactus S.A. Le 2 novembre 2009, la direction suspend Patrick Ourth et demande, comme le prévoit la loi concernant les délégations du personnel dans le cadre d’une «mise à pied», la rupture du contrat de travail devant le Tribunal du travail du Luxembourg. Parallèlement, la vice-présidente de la délégation, Sabine Paci (OGBL), et la déléguée du personnel libérée, Suzette Haentges (OGBL), sont toutes deux exhortées par écrit à adopter un comportement plus calme à l’avenir. Tous trois sont accusés de s’être exprimés dans une lettre de manière «très irrespectueuse, désobligeante et offensante» vis-à-vis du directeur du personnel de Cactus S.A.

La faiblesse des perspectives de Cactus S.A. d’obtenir gain de cause devant le tribunal est d’ores et déjà suggérée dans l’ordonnance du 18 décembre 2009, lorsque la présidente du Tribunal du travail du Luxembourg donne suite à la demande de Patrick Ourth et lui accorde le maintien du versement de son salaire jusqu’au terme de la procédure principale. Le 24 mars 2010 (le président de la délégation de personnel n’étant plus en service depuis 4 mois), le Tribunal du travail du Luxembourg rejette la requête de Cactus S.A. concernant la rupture du contrat de travail et lève la suspension de service pour Patrick Ourth.

Mais de cela, la société Cactus S.A. ne veut pas entendre parler et comme elle n’accepte pas cette décision, tous les recours judiciaires disponibles doivent être épuisés: la chaîne de supermarchés fait appel du jugement et porte également plainte au pénal contre Patrick Ourth!

Le tribunal décide le 10 mars 2011 (le président de la délégation du personnel n’étant plus en service depuis 16 mois) qu’il ne traitera le recours qu’après le résultat de l’enquête judiciaire.

Le 18 avril 2012 (le président de la délégation du personnel n’étant plus en service depuis 29 mois), la Chambre d’accusation de la Cour supérieure décide de ne pas donner suite à la plainte.

La société Cactus S.A. ne cède pas et fait également appel de ce jugement, qui est rejeté le 26 juin 2012 (le président de la délégation du personnel n’étant plus en service depuis 31 mois). L’entreprise persiste malgré tout à poursuivre la procédure.

Le 28 février 2013, l’affaire touche enfin à sa fin. La Cour supérieure confirme le premier jugement du 24 mars 2010, annule en seconde instance la suspension de service de Patrick Ourth et rejette la requête de Cactus S.A. concernant la rupture du contrat de travail.

41 mois après sa suspension de service injustifiée, le président de la délégation du personnel démocratiquement élu est désormais de retour dans l’entreprise!

Patrick Ourth a gagné devant la justice. Cactus S.A. a également gagné : elle a réussi à empêcher le président de la délégation du personnel d’exercer son mandat durant 41 mois sur 60. Le préjudice moral causé par la société Cactus S.A. à l’égard des délégués du personnel et des salariés dans leur ensemble est élevé. Le président effectue son retour dans l’entreprise huit mois avant les prochaines élections. L’opportunité de se mobiliser pour le personnel comme le prévoit la loi lui a été ôtée. Il ne peut tirer aucun bilan personnel à l’approche des élections sociales de 2013.

La société Cactus S.A. a certes perdu en justice mais elle n’a enfreint la loi à aucun moment. Elle a seulement tiré profit des dispositions réglementaires très médiocres relatives à la protection contre le licenciement des représentants élus du personnel ! Une nouvelle loi régissant la délégation du personnel s’impose donc non seulement en général, mais la protection contre le licenciement des délégués du personnel doit notamment aussi être améliorée et cela en profondeur. Les possibilités juridiques pour l’entreprise de mettre fin à un contrat de travail avec un délégué du personnel doivent être limitées, de même que la durée des procédures judiciaires.

A l’avenir, il ne devrait plus être possible qu’une direction puisse bafouer le droit du personnel: le droit  à la démocratie dans l’entreprise, le droit à la légitimité des représentants du personnel élus lors des élections sociales. L’OGBL tient à remercier Patrick Ourth de s’être battu 41 mois d’affilée de manière exemplaire pour son mandat. Dans le cas d’une défaite judiciaire, il aurait dû rembourser 41 fois son salaire mensuel. La société Cactus S.A. a également dû retirer ses rappels à l’ordre à l’égard de la vice-présidente de la délégation et de la déléguée du personnel libérée.

André Roeltgen
Secrétaire général de l’OGBL