Étude sur la possibilité de légiférer au niveau d’un devoir de diligence des entreprises

Une législation nationale respectueuse des droits humains : bien fondée et réalisable

devoir de vigilanceL’Initiative pour un devoir de vigilance, représentant 17 organisations de la société civile, salue la récente publication de l’étude de Dr. Basak Baglayan telle que prévue par l’accord gouvernemental. Cette étude vise la possibilité de légiférer sur le devoir de diligence pour les entreprises domiciliées au Luxembourg, dans la mesure où cela permettra de garantir le respect des droits humains et de l’environnement tout au long de leurs chaînes de valeur.

 « Cette étude constitue un pas décisif vers une législation nationale pour le respect des droits humains au niveau des activités économiques des entreprises luxembourgeoises. Elle apporte la preuve qu’une loi nationale est à la fois bien fondée et réalisable. La législation profitera non seulement aux personnes affectées par les activités économiques mais également aux entreprises et à notre pays » ont déclaré les responsables de l’Initiative.

Effectivement, les activités économiques des entreprises peuvent avoir des impacts négatifs sur les droits humains partout dans le monde : travail abusif des enfants, utilisation massive de produits toxiques dangereux pour la santé, travail forcé, accaparement des terres, dégâts environnementaux etc. Des entreprises ayant leur siège au Luxembourg y sont ou peuvent être impliquées.

Cette étude luxembourgeoise est présentée à un moment où nos pays voisins sont très actifs comme en Allemagne où un processus de légiférer à été lancé ou tout récemment comme en Belgique où une proposition de loi au Parlement a été introduite en avril 2021. En France, une loi pour un devoir de vigilance existe depuis 2017. Aux Pays-Bas, une proposition ambitieuse a été déposée en mars 2021 pour élargir la loi existante sur le travail des enfants à une loi qui couvre l’ensemble des droits humains. Les responsables de l’Initiative soulignent dans ce contexte : « Une loi luxembourgeoise permettra ainsi à notre pays de s’insérer dans cette dynamique, d’autant plus qu’au niveau mondial, les ambitions du Luxembourg sont plus grandes avec sa candidature pour un siège au Conseil des droits de l’Homme des Nations Unies. »

Fin d’un débat peu constructif et premiers pas dans la bonne direction

Durant les derniers mois, les débats ont porté malheureusement sur les avantages et inconvénients relatifs d’une initiative législative au niveau européen par rapport à une initiative au niveau national. L’Initiative salue expressément le constat de l’étude que « ce débat est peu constructif, si l’on considère que l’adoption d’une législation nationale et d’une législation européenne ne s’excluent pas mutuellement. »

L’Initiative pour un devoir de vigilance félicite également le gouvernement d’avoir donné directement un suivi à cette publication en mettant en place un comité interministériel, sous la coordination du Ministère des Affaires étrangères et européennes, auquel participeront plusieurs Ministères [1] .

Cette décision gouvernementale est en corrélation avec 92% des résidents au Luxembourg qui sont favorables à une loi nationale selon un sondage TNS-Ilres. Auxquels s’ajoutent un grand nombre de députés de tous (!) les partis représentés au Parlement qui se sont également exprimés en novembre 2020 en faveur d’une démarche législative lors de l’action “Je suis pour une loi nationale”.

Avec la décision du gouvernement d’instaurer un comité interministériel, une concrétisation devra se faire rapidement car nous sommes à mi-chemin de la période législative. Il importe de déterminer maintenant un cadre temporal pour ces travaux. La composition de ce comité interministériel renforcera la cohérence des politiques (revendiquée à maintes reprises par la société civile) car – selon l’étude – elle permettra de coordonner les politiques entre les différents ministères. Cette exigence existe d’ailleurs depuis 2012 au niveau de la loi sur la Coopération luxembourgeoise et a fait déjà l’objet de maintes analyses dans la publication « Fair politics » pour éviter qu’une main donne et l’autre prend.

Des pistes concrètes pour une législation luxembourgeoise

Les travaux de ce comité interministériel devraient par la suite permettre au législateur de concevoir – selon l’étude – une loi sur un devoir de diligence « en tenant compte des spécificités du Luxembourg » tout en couvrant « toutes les entreprises domiciliées au Luxembourg » et en incluant «celles des sociétés du groupe et des entités de la chaîne de valeur de l’entreprise ».

En outre, pour être conforme au PDNU (Principes directeurs des Nations Unies sur les entreprises et les droits humains), une loi luxembourgeoise sur le devoir de diligence doit couvrir « tous les droits de l’homme internationalement reconnus ».

Afin que cette législation soit équilibrée, l’Initiative partage le constat de l’auteure de l’étude que les obligations de déclaration pourraient être « différenciées en fonction de la taille ou de la capacité des entreprises ».

Dans ce contexte, l’Initiative souligne également un constat important de l’étude : « La législation future devrait s’efforcer de trouver un équilibre entre l’impératif d’améliorer le respect des droits de l’homme par les entreprises et la nécessité pratique de ne pas imposer de charges disproportionnées aux entreprises et aux pouvoirs publics. »  En même temps, l’auteure souligne « qu’il convient de garder à l’esprit que les coûts potentiels de la diligence raisonnable en matière de droits de l’homme sont susceptibles d’être compensés par des avantages et ceci pour toutes les parties prenantes ».

 Analyse d’impacts d’une législation nationale pour les entreprises au Luxembourg

« Malgré les divers efforts déployés dans le monde, plusieurs études ont montré que la mise en œuvre de la diligence raisonnable par les entreprises restait limitée. On comprend de plus en plus que les approches purement volontaires ne sont pas suffisantes. » Cette constatation dans l’introduction de l’étude est largement partagée par la société civile au Luxembourg et dans les pays voisins. Il faut ici souligner que des pionniers existent, également au Luxembourg. Ces pionniers du monde des entreprises luxembourgeoises prouvent chaque jour qu’une diligence raisonnable est possible tout en restant compétitifs. L’étude relève également que 32 entreprises de 8 secteurs différents de l’économie se sont prononcées à l’heure actuelle en faveur d’une législation nationale sur les droits humains et en matière d’environnement.

Bien que l’étude relève également que des coûts et certains travaux administratifs seront engendrés, il y a aussi des avantages considérables pour les entreprises. Selon l’OCDE citée dans l’étude : « Le devoir de diligence peut aider les entreprises à créer davantage de valeur, notamment en identifiant les possibilités de réduction des coûts, en améliorant la compréhension des marchés et des sources d’approvisionnement stratégiques, en renforçant la gestion des risques commerciaux et opérationnels propres à l’entreprise… » A cela s’ajoute : « Ces avantages peuvent se manifester par une meilleure perception de l’entreprise, tant en interne qu’en externe, ce qui entraîne d’autres avantages tels que de meilleures recommandations des analystes ou une diminution du coût du capital (principalement en raison de la réduction des risques et de la transparence accrue). Les avantages internes, tels que la capacité accrue à retenir et à attirer les talents, l’augmentation de la productivité, une meilleure gestion de la réputation de l’entreprise et la création de valeur, ne doivent pas être négligés. »

Ces vues sont largement partagées par un certain nombre d’entreprises qui ont rempli le questionnaire de l’enquête menée dans le cadre de l’étude tout en ajoutant une « amélioration de la gestion des risques ESG », la « confiance des consommateurs » et « une plus grande transparence ».

En ce qui concerne le secteur financier, l’étude établit qu’il n’existe actuellement aucune preuve empirique permettant de démontrer que l’adoption d’une législation sur le devoir de diligence obligatoire encouragerait les prestataires de services financiers à migrer vers des pays où une telle législation fait défaut.

Les responsables de l’Initiative espèrent que « cette étude a apporté suffisamment de réponses aux préoccupations de certains acteurs économiques qui ont été exprimées lors de l’enquête réalisée ».

Commentant la loi française sur le devoir de vigilance, C. Bright – cité dans l’étude – a fait valoir que “contrairement à ce que les critiques ont pu suggérer, la législation ne semble pas avoir affecté la compétitivité internationale de la France ; le pays a attiré un niveau record d’investissements directs étrangers après son adoption”. [2]

N’oublions pas les personnes affectées par les activités économiques dans nos chaînes de valeur

L’Initiative pour un devoir de vigilance souligne la qualité du travail réalisé par le Dr. Basak Baglayan en prenant en compte tous les défis mais aussi les soucis des parties prenantes qui ont pu s’exprimer. Bien que le focus de l’étude se porte uniquement à des questions « nationales », il est bien de signaler que l’auteure a également souligné l’impact sur les victimes dont les droits humains sont bafoués : « On estime que les impacts sociaux, humains et environnementaux d’un système de diligence raisonnable obligatoire en matière de droits de l’homme seront nettement plus élevés que ceux des directives volontaires ou des simples obligations de déclaration. »

Dans ce contexte, certains acteurs ont demandé de réaliser une “évaluation complète de l’impact économique” d’une législation. Dans le souci d’une transparence au niveau des vrais coûts sociétaux et d’une telle « évaluation complète », il faudrait adopter une approche « true price and true cost » au niveau de nos chaînes de valeur. Ceci permettrait alors de prendre en compte également les coûts environnementaux et sociaux externes de production de produits finis ou semi-finis, matières premières, services dans les principaux pays producteurs au Sud et ailleurs dans le monde. Les impacts sociaux tels que la sous-rémunération, la santé et la sécurité, les heures supplémentaires, la protection sociale, le travail des enfants, le harcèlement, les menaces au travail et le travail forcé devraient faire alors également l’objet de cette « évaluation complète ». De plus, les impacts environnementaux devraient y être aussi pris en compte au niveau de l’utilisation des terres, la rareté de l’eau, la pollution terrestre, aquatique et atmosphérique et la gestion des déchets.

L’Initiative aimerait citer en guise de conclusion tout simplement la dernière phrase de l’étude à laquelle elle peut se joindre : « Une nouvelle loi devrait être intégrée dans un “smart mix” de mesures et de politiques gouvernementales visant à améliorer la diligence raisonnable en matière de droits de l’homme au Luxembourg et à l’étranger. »

Communiqué le 4 mai 2021

 


[1] Ministères de l’Economie, des Finances, de la Justice, de l’Environnement, du Climat et du Développement durable, du Travail, de l’Emploi et de l’Economie sociale et solidaire, des Classes moyennes et de la Coopération au développement et de l’Action humanitaire.

[2] C. Bright., EUI Working Papers, op. cit. , 9.