XIIIe Congrès de la CES

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Introduction

C’est sous le thème « Une société juste, des emplois de qualité et les droits des travailleurs que la Confédération Européenne des Syndicats (CES) a inscrit son XIIIe Congrès. Celui-ci s’est tenu du 29 septembre au 2 octobre 2015 à la Maison Mutualité à Paris, lieu historique du mouvement ouvrier français. Il a réuni 500 délégués issus de 90 organisations syndicales de 39 pays composant la CES (1 400 participants dont 500 délégués votants).

Aperçu des temps forts de ce XIIIe Congrès.

Discours d’ouverture du congrès

Le XIIIe Congrès de la CES s’est ouvert avec l’intervention de nombreuses personnalités politiques. Le président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, du Parlement européen, Martin Schulz, et le président français François Hollande, ont ainsi pris la parole. Ils ont été accueillis au nom des syndicats français par Jean-Claude Mailly (FO) ainsi que par Anne Hidalgo, la maire de Paris.

Tous ont insisté sur l’importance des droits sociaux et sur la nécessité de renforcer le dialogue social à l’échelle européenne. Jean-Claude Juncker a rappelé son intention de présenter d’ici le printemps 2016 un « socle de protection minimale – qui ne serait pas un socle de droits minimaux – mais un plafond de droits sociaux qu’on ne peut corriger par le bas ». Pour sa part, François Hollande a plaidé pour que la prochaine étape de la construction européenne soit une convergence « en matière sociale et en matière de travail », appelant à une coordination des politiques sociales au côté de celle des politiques économiques. Il a dans ce cadre annoncé que les gouvernements français et allemand ont commencé à travailler sur les contours d’un « Eurogroupe social comme il existe un Eurogroupe monétaire et économique ». En matière de dumping social, afin de lutter contre les détachements abusifs, François Hollande a demandé l’introduction d’un « mécanisme de solidarité » qui soit élargi à toute la chaîne de sous-traitance, dans l’ensemble des secteurs économiques, et a appelé l’Europe à s‘emparer de ce sujet dans le cadre de la directive sur le détachement des travailleurs.

Le président du Parlement européen, Martin Schulz, a pour sa part accordé une grande importance à la révolution numérique, qui « transforme notre société aussi profondément que l’a fait la révolution industrielle au XIXe siècle ». Or les conséquences de la numérisation sur le droit du travail, dont l’émergence de nouvelles formes de dumping social, n’ont pas encore été assez abordées d’après lui. Il en appelle ainsi au mouvement syndical afin de lutter ensemble pour « garantir un travail de qualité et un juste salaire à l’ère numérique ». Il demande également la mise en place d’une « Charte des droits fondamentaux numériques » qui garantirait également une juste rémunération du travail».

La CES entend prendre au mot les dirigeants européens.

Les congressistes présents attendent eux de voir comment ces paroles vont se concrétiser. « Nous saluons l’engagement de M. Junker d’un pilier de droits sociaux. Nous l’attendons avec impatience, parce que les mots ne suffisent pas, il faut que les choses se mettent en place concrètement », a notamment déclaré Bernadette Ségol, secrétaire générale sortante de la CES.

Adoption des motions d’urgence

ces_congres_voteHuit motions d’urgence ont été débattues et adoptées lors de ce Congrès, couvrant des sujets aussi importants que la crise des réfugiés, la solidarité avec les travailleurs grecs, la décision du gouvernement britannique d’organiser un référendum sur le maintien du Royaume-Uni dans l’Union européenne ou encore la remise en cause des droits fondamentaux en Espagne, en particulier le droit de grève.

La « crise des réfugiés en Europe»

L’adoption d’une motion d’urgence sur « la crise des réfugiés » été marquée par deux témoignages particulièrement poignants. Aida Hadzialic, ministre suédoise de l’enseignement secondaire, de l’éducation des adultes et de la formation, qui a fait partie des 82 000 réfugiés, en Suède, en 1992 lors du conflit en Bosnie (ex Yougoslavie) et de Oumar Diakhaby guinéen, demandeur d’asile en Belgique en 1999 – obtenu en 2008 – militant du Comité des travailleurs sans papiers de la Confédération des Syndicats Chrétiens (CSC), de Belgique.

La résolution d’urgence appelle à bannir les obstacles et les clôtures récemment érigées qui se « sont révélés inefficaces et ont pour seul effet de dévier les flux migratoires d’un pays vers un autre et de faire le jeu des passeurs ». Elle rappelle que « les politiques d’austérité n’ont fait qu’aggraver les problèmes », rendant les conditions d’accueil « encore plus difficiles dans les pays où les réfugiés arrivent d’abord ». La CES salue les décisions du Conseil européen adoptées le 22 septembre, estimant que la « répartition de 160 000 réfugiés peut apporter un soulagement immédiat aux pays les premiers touchés par les flux énormes de personnes cherchant protection ». Elle considère toutefois ces mesures insuffisantes et insiste sur la nécessité de rétablir des services publics adéquats pour garantir l’accès au logement, à l’Education, à la Santé et à la protection sociale.

Avenir de la CES : renouvellement de l’équipe, adoption du manifeste et du plan d’action pour les quatre ans à venir

Les délégués du Congrès ont adopté le Manifeste de Paris « Défendons la solidarité pour des emplois de qualité, les droits des travailleurs et une société juste en Europe », qui met en avant les priorités de la CES pour une meilleure Europe. Le Manifeste de Paris reprend les grandes lignes du Plan d’Action de la CES 2015-2019 également adopté au Congrès.

Les textes adoptés essaient de répondre aux difficultés que rencontre le monde du travail dans l’ensemble des pays européens en prônant un syndicalisme moins institutionnalisé et plus proche du terrain. Ils s’articulent autour de trois piliers : une économie forte au service des citoyens, des syndicats plus forts pour la défense des valeurs démocratiques et de la démocratie au travail et un socle de normes sociales ambitieuses.

  • Premier axe : Une économie forte au service du citoyen. Cette partie s’appuie sur la nécessaire relance de l’investissement et de la demande intérieure pour changer le cours de l’économie européenne. La CES a rappelé que le plan Juncker, certes un premier pas qui va dans la bonne direction, n’est cependant pas suffisant pour relancer durablement la croissance et l’économie en Europe. Elle rappelle le projet qu’elle porte depuis 2013 d’une « nouvelle voie pour l’Europe », 2% de PIB pendant 10 ans pour établir une nouvelle base industrielle et créer des emplois de qualités et des opportunités éducatives ». La CES demande « à être consultée sur les projets sélectionnés pour bénéficier du plan d’investissement », et que « les critères de sélection doivent donner priorité à la création d’emplois de qualité et inclure des objectifs sociaux et environnementaux ». Un autre enjeu pour le mouvement syndical est de peser sur la gouvernance économique européenne et de mettre en place une « coordination renforcée, y compris pour les syndicats » dans la zone euro.
  • Deuxième axe : Des syndicats plus forts pour la défense des valeurs démocratiques et de la démocratie au travail. Les salaires doivent être augmentés conformément aux gains de productivité qui sont réalisés afin de soutenir la demande intérieure européenne. Pour cela, la négociation collective et les accords contraignants doivent être renforcés car ils constituent, lorsque menés « au niveau approprié entre partenaires sociaux (..) la meilleure façon d’assurer des salaires corrects et de bonnes conditions de travail ». La CES rappelle toutefois que la fixation des salaires doit rester « compétence nationale et être traitée conformément aux pratiques nationales et aux systèmes de relations sociales en vigueur ». Concernant la revendication d’un salaire minimum légal qui doit être fixé en concertation avec les partenaires sociaux, la CES recommande « d’entamer des discussions sur une référence commune pour le salaire minimum légal national, applicable dans les pays où il existe ».
  • Troisième axe : un socle de normes sociales ambitieuses. La CES demande un « nouvel agenda social ambitieux » assurant de meilleurs conditions de vie et de travail notamment, ainsi qu’un « protocole de progrès social européen » pour lutter contre le dumping social et réaffirmer la prédominance des droits fondamentaux sur les intérêts économiques. Dans ce cadre, une révision de la directive sur le détachement des travailleurs est nécessaire afin de garantir le principe d’égalité de traitement. L’égalité hommes-femmes, la fin de la « tendance à la déréglementation », illustrée par le programme « Meilleure réglementation » et l’initiative « REFIT », sont autant d’autres points clés du plan de travail et du Manifeste de ces quatre prochaines années.

Plus de détails sur le contenu des documents:

  • Manifeste de Paris
  • Plan d’action de la CES
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Luca Visentini

Une nouvelle équipe à la tête de la CES

Ce XIIIe Congrès s’est également doté d’une nouvelle équipe à la tête de la CES, avec un nouveau secrétaire général issu du syndicat italien UIL, Luca Visentini, et d’un nouveau président, Rudy De Leeuw (FGTB, Belgique).

Les autres membres de la direction confédérale sont :

  • Secrétaires généraux adjoints : Veronica Nilsson (Suède – LO) et Peter Scherrer (Allemagne – DGB),
  • Secrétaires confédéraux : Liina Carr (Estonie – EAKL) ; Esther Lynch (Irlande – ICTU) ; Montserrat Mir Roca (Espagne – UGT) ; Thiébaut Weber (France – CFDT).

Communiqué le 16 octobre 2015

Négociations sur le changement climatique : pour un maintien de la transition juste et du travail décent

COP21La 21e Conférence mondiale sur le climat (COP21) aura lieu à Paris du 30 novembre au 11 décembre 2015. Il s’agit d’aboutir, pour la première fois, à un accord global et contraignant permettant de lutter efficacement contre le dérèglement climatique et de favoriser la transition vers des sociétés et des économies résilientes et sobres en carbone.

A quelques mois de ce sommet crucial, et dans le cadre des négociations de ce nouvel accord sur le changement climatique qui se tiennent actuellement à Bonn (du 31 août au 4 septembre), les syndicats OGBL et LCGB, par le biais de leur secrétariat européen commun, ont écrit à la ministre de l’environnement afin de lui présenter les principales demandes syndicales dans le cadre des négociations en cours.

Les syndicats déplorent en particulier le sort réservé à la transition juste et au travail décent dans la dernière version du texte de négociation récemment publiée. Ils rappellent que la transition vers une énergie bas-carbone ne peut être faite sans transformer en même temps le marché du travail. C’est pourquoi il est essentiel de placer la nécessité d’une transition juste ainsi que du travail décent au cœur de l’accord en cours de négociation. L’Union européenne doit continuer à jouer un rôle moteur dans le processus de la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (CCNUCC) et promouvoir une action climatique ambitieuse et socialement soutenable en Europe et dans le monde.

Les syndicats demandent également que la référence à la transition juste et au travail décent soit reprise dans les conclusions que le Conseil Environnement doit adopter lors de sa réunion du 18 septembre. Ceci consolidera le soutien de l’UE à l’inscription de la transition juste et du travail décent dans le texte de l’accord qui doit être adopté à la COP21.

Communiqué le 4 septembre 2015

>> Lire aussi la position de la Confédération européenne des syndicats sur la COP 21 (pdf)

Les priorités du mouvement syndical européen dans le cadre de la présidence luxembourgeoise de l’UE

visite_segol_1 La secrétaire générale de la Confédération européenne des syndicats (CES), Bernadette Ségol, accompagnée d’une délégation de l’OGBL, a été reçue le mardi, 14 juillet par le Premier ministre  luxembourgeois, Xavier Bettel, qui est actuellement président du Conseil de l’UE, afin d’examiner l’agenda de l’UE pour les 6 mois à venir et de fixer les priorités du mouvement syndical européen. Voici les principaux sujets abordés lors de cette entrevue.

L’Europe sociale

La CES a soulevé le paradoxe consistant entre la volonté de la présidence luxembourgeoise de mettre en place une Europe «triple A social», alors que parallèlement, la politique macroéconomique prônée par l’UE et la Commission européenne continue à faire pression sur les salaires et sur l’emploi, demandant toujours plus de flexibilité. La CES constate que l’Europe sociale qui est appelée de ses vœux par la Commission européenne ainsi que par la présidence luxembourgeoise, s’accompagne en réalité d’actions tout à fait contraires, avec la mise en place de politiques qui place le financier au premier plan, et non les citoyens européens. La CES a également souligné qu’il n’y a actuellement pas de dialogue avec le mouvement syndical en ce qui concerne l’Europe sociale. De plus, cette idée est très fortement mise en doute par les citoyens européens, à tel point qu’on parle plutôt actuellement d’une Europe anti-sociale.

La situation en Grèce

Si le pire des scénarios a pu être évité (à savoir une sortie de la Grèce de la zone euro), le prix à payer pour le peuple grec est lui très élevé. La CES a souligné cette inquiétude auprès du Premier ministre en lui demandant qui allait finalement payer: vraisemblablement le peuple Grec! Le compromis trouvé entre Athènes et ses créanciers sur le plan de sauvetage financier, condamne le pays à perdurer dans la récession, sans perspective de croissance car ce plan d’aide ne mentionne nullement la mise en place d’un plan d’investissement. Au contraire, la contrepartie demandée aux Grecs pour ce plan d’aide de 85 milliards d’euros s’inscrit purement et simplement dans la continuité  des mesures d’austérité qui étouffe la Grèce depuis quelques années, sans que celles-ci puissent être remises en cause. Une fois de plus, ce sera le peuple grec qui payera les pots cassés, en se voyant infliger un programme punitif. La CES est persuadée que le compromis trouvé a une durée limitée et que les mêmes discussions reprendront, au mieux, d’ici deux ans.

Le référendum annoncé sur un éventuel Brexit

visite_segol_2Le premier-ministre britannique David Cameron est sur le point de débuter ses négociations en vue de son référendum posant la question d’un éventuel Brexit. David Cameron va dans ce contexte tenter d’imposer ses conditions pour négocier quelle position il défendra finalement dans le cadre de ce référendum. D’après le mouvement syndical britannique, il soumettra très prochainement l’agenda des «doléances» britanniques à l’UE. Le syndicat britannique TUC craint que si les droits sociaux se voient encore davantage  affaiblis, le vote en faveur d’un Brexit n’en soit que renforcé. Il ne faut pas oublier non plus le contexte des discussions très toxiques sur l’immigration qui ont lieu en ce moment au Royaume-Uni et qui entretiennent un climat anti-Europe. De même, en ce qui concerne  les fameux «agency-contracts » qui sont principalement occupés par des migrants, et qui n’offrent rien d’autre que des contrats de travail précaires. David Cameron souhaite une zone de libre-échange sans droits sociaux et il risque d’être appuyé sur ce point par d’autres Etat-membres qui souhaitent faire de l’UE uniquement une zone économique.

Le Premier-ministre luxembourgeois a assuré avoir dressé des lignes rouges que David Cameron ne pourra pas franchir. La libre-circulation des travailleurs est ainsi une de ces lignes-rouges, les bénéfices sociaux également. Concernant la directive sur le détachement, le ministre du Travail, Nicolas Schmit, a affirmé que le Royaume-Uni n’obtiendra pas plus de dérogations qu’il n’en a déjà (l’opt-out existant). Nicolas Schmit a souligné que les droits sociaux européens doivent être renforcés, et qu’on ne peut pas, dans le cadre d’un «Tripe A social», faire d’exceptions pour un seul et unique pays. Il n’y aura également pas de changement de législation européenne au profit d’un seul.

Le Rapport des cinq présidents

La CES s’inquiète concernant la volonté affichée de mettre en place au niveau européen, une autorité sur la compétitivité, indépendante, qui viserait à donner des conseils sur les salaires, sans consultation préalable avec les partenaires sociaux. Il y a là le risque de voir émerger une qualité de recommandations supplémentaires sur les salaires et une ingérence dans l’autonomie des partenaires sociaux.

Le paquet mobilité  

La CES a souhaité rappeler les principes portant sur le droit des travailleurs et le principe d’une libre et équitable circulation pour tous tout en mettant en avant les obstacles existants pour les travailleurs mobiles….

Le REFIT

La CES a rappelé sa position sur le REFIT et le programme «Mieux légiférer» de la Commission européenne. Toute réglementation ne peut pas être automatiquement perçue comme un obstacle pour les entreprises et la compétitivité.

Le ministre du Travail, Nicolas Schmit, a mis en avant ses doutes sur le pouvoir de la Commission européenne à remettre en question et à jeter aux oubliettes des textes de lois qui ont été votées et approuvées par le Conseil de l’UE ainsi que le Parlement européen. Le ministre s’interroge également sur le bien-fondé d’une telle démarche.

Le TTIP

visite_segol_3La CES a également rappelé ses lignes rouges dans le cadre des négociations sur l’accord TTIP (soutenabilité, chapitre social; exclusion claire des services publiques; opposition à un chapitre sur l’ISDS). Au sujet du rapport du Parlement européen sur le TTIP qui vient d’être adopté en séance plénière : si ce rapport apportent des améliorations non négligeables à l’accord proposé (les normes de l’Organisation internationale du Travail, telles que le droit d’adhérer à un syndicat, doivent être incluses dans le PTCI et y être applicables ; la coopération réglementaire assure les plus hauts niveaux de protection de la santé et de la sécurité, conformément au principe de précaution), le compromis trouvé au sujet du mécanisme ISDS reste finalement identique, il apparaît uniquement sous une autre forme. La CES s’interroge aussi sur les conséquences de l’accord. Une fois adopté, quelles en seront les vertus et surtout pour qui ?

Le Premier ministre luxembourgeois a rappelé la position luxembourgeoise au sujet du TTIP : il n’est pas question de brader les acquis existants dans le domaine social, environnemental, alimentaire et juridictionnel (ISDS). Il trouve néanmoins que le compromis sur l’ISDS qui a été trouvé au PE est une bonne base pour permettre une réforme de ce mécanisme controversé.

L’agenda numérique  

Il s’agit là d’un important cheval de bataille de la CES, au vue des conséquences et des changements importants qu’entraîne l’ère numérique sur le monde du travail, les conditions de travail et le contrôle des données. L’agenda numérique apportera de gros changements et aura dans le futur d’importantes répercussions sur le marché du travail.

Communiqué par l’OGBL
le 17 juillet 2015

 

Utiliser la présidence luxembourgeoise pour soutenir et développer la dimension sociale de l’Union européenne

comite_national_juillet_2015Au moment où le Luxembourg prend pour les six mois à venir la présidence de l’Union européenne il y a lieu de rappeler que malgré la légère, mais fragile reprise économique, qui se fait d’ailleurs sentir de façon inégale dans les différents pays, l’économie européenne tourne toujours en-deçà de ses capacités productives et est en défaut d’investissements publics et privés. Empêtrée dans une gestion désastreuse de la mal-nommée crise de la dette publique (en fait une conséquence de la politique d’austérité mise en place en 2010-2011 couplée au maintien de la politique de privatisation, libéralisation et dérégulation, les tristement célèbres réformes structurelles), l’Union européenne ne répond pas à la crise environnementale qui menace l’avenir des générations futures. L’Union européenne reste enfoncée dans une profonde crise sociale avec un taux de chômage inacceptable, avec une dégradation des conditions de travail, avec un pouvoir d’achat stagnant, voire en régression pour beaucoup de salariés et retraités et avec un accroissement généralisé et toujours plus grand des inégalités et du risque de pauvreté.

L’absence d’une réponse politique crédible à ces crises multiples a fait naître une attitude de rejet du projet européen surtout parmi les couches populaires de nos sociétés et une crise politique, une crise qui touche aux fondements de la démocratie dans nos pays se profile à l’horizon.

Face à cette situation, l’OGBL, ensemble avec le mouvement syndical européen, estime qu’il faut changer de cap.

Il s’agit d’abandonner la politique d’austérité et de mettre en avant une politique économique et budgétaire qui relance l’investissement privé et public, surtout dans l’économie verte, dans la recherche et le développement et dans nos infrastructures.
Pour sortir du marasme économique, pour réduire les inégalités croissantes, il est nécessaire d’augmenter les salaires, de réduire les inégalités fiscales, de soutenir les droits collectifs et les organisations syndicales et de renforcer la négociation collective.
Le soutien à la création d’emplois de qualité, le rejet de la précarité et la lutte contre le dumping social devraient être les orientations de la politique de l’emploi en Europe. Il faut renouer avec une politique sociale en Europe qui vise à améliorer les conditions de travail pour permettre aux travailleurs de rester en bonne santé et d’éviter l’invalidité, une politique qui favorise une meilleure transition entre la vie active et la retraite, une transition plus flexible. Relancer une politique qui améliore la conciliation entre vie familiale et vie professionnelle, qui développe l’accès individuel et collectif à la formation continue, qui crée un véritable droit à la formation continue, permettrait d’augmenter le taux d’emploi. Combinée avec la création d’emplois et la lutte contre le chômage par une politique de maintien dans l’emploi et de protection contre le licenciement, une telle approche permettrait de renforcer nos systèmes de protection sociale qui sont essentiels pour le développement de nos sociétés.

Une telle orientation de la politique européenne qui tend à renouer avec le progrès social, à mettre en œuvre une harmonisation vers le haut tout en mettant en place une politique qui soutient l’investissement dans nos infrastructures, une politique industrielle qui soutient et protège l’activité industrielle tournée vers les technologies de pointe et l’innovation responsable du point de vue social et environnemental est essentielle pour que les citoyens retrouvent confiance dans le projet européen.

Dans cette optique, l’OGBL invite le Gouvernement luxembourgeois de soutenir lors de sa présidence européenne toutes les initiatives qui vont dans le sens de la politique décrite ci-devant. Le soutien du dialogue social structuré européen, le soutien de la négociation interprofessionnelle et sectorielle européenne, le respect des accord négociés, le maintien de la représentation syndicale nationale et européenne dans tous les comités, programmes et agences européennes qui concernent les domaines de compétence des syndicats est d’une importance capitale.

L’OGBL rappelle également les critiques du mouvement syndical européen envers le programme «REFIT» et le document «Mieux légiférer» de la Commission qui sous le couvert fallacieux de la lutte contre la bureaucratie risquent d’être utilisés pour détricoter les réglementations en matière de protection environnementale, de santé et de sécurité au travail et de mener à une politique à deux niveaux au détriment des travailleurs dans les petites et moyennes entreprises.

L’OGBL rappelle finalement ces critiques par rapport aux négociations des accords de libre échange et de protection de l’investissement privé en cours (CETA, TTIP, TISA).
Sans surestimer le poids de la présidence luxembourgeoise et les moyens dont elle dispose, le Comité national de l’OGBL estime néanmoins qu’une approche qui se fonde sur les orientations décrites sommairement ci-dessus pourrait contribuer à aider à sortir l’Union européenne du marasme actuel.

REFIT ou l’annonce d’une dérégulation programmée

REFITMonsieur Xavier BETTEL,
Premier ministre,
Ministère d’Etat-Hôtel de Bourgogne,
4, rue de la Congrégation
L – 2910 Luxembourg

Luxembourg, le 10 juillet 2015

Concerne : L’agenda de simplification administrative et réglementaire de l’Union européenne

Monsieur le Premier ministre,
Nous souhaitions vous faire part de notre inquiétude au sujet de l’agenda de simplification administrative et réglementaire de l’Union européenne et en particulier de son programme REFIT – «Pour une réglementation affûtée et performante». Celui-ci se trouve au centre de l’agenda européen et consiste en une révision systématique de la législation visant à adapter les lois à leur finalité, ce par le biais de mesures de simplification, d’abrogation ou d’allègement des charges liées à la mise en œuvre du droit. L’ensemble de l’acquis communautaire, y compris la transposition du droit européen au niveau national, mais aussi tout nouveau projet de législation, de même que les actes non législatifs, seront ainsi soumis dans le cadre de REFIT à cette approche de simplification et de réduction des charges réglementaires et administratives.

En tant qu’organisations syndicales, nous ne nous opposons pas à l’amélioration des processus législatifs, ni à une limitation de charges administratives superflues, dans la mesure où cela permet de rencontrer plus simplement l’objectif et la finalité pour lesquelles les réglementations ont été mises en place. Mais nous ne pouvons accepter qu’à travers les différents programmes de la Commission européenne et en particulier le programme REFIT des initiatives soient prises qui affaiblissent la législation existante en matière de santé et sécurité au travail, d’information, consultation et participation des travailleurs, de droit des sociétés, ou encore de protection de l’environnement.

Nous constatons qu’en pratique, l’approche de la Commission, et les changements qu’elle souhaite apporter, dévie de son objectif initial et mène à une dérégulation de la législation européenne, et en particulier de l’acquis social communautaire, entraînant de graves conséquences pour la protection des travailleurs et de leurs droits. Dans son approche, la Commission présente toute législation comme un obstacle potentiel à la croissance, à la compétitivité, la réglementation étant vue comme un «fardeau» qui pénalise les entreprises et non plus comme un moyen de créer de la sécurité et de la protection pour les citoyens.

Plus concrètement, la Commission a présenté dans le cadre de REFIT, les premiers résultats de la cartographie des législations communautaires soumises à l’examen et a proposé une action de suivi des initiatives déjà réalisées, en cours de réalisation ou à venir. Toute une série d’évaluations ont également été programmées pour affaiblir une nouvelle fois les contraintes réglementaires dans des domaines tels que la santé et la sécurité au travail, le dialogue social, l’information et la consultation des travailleurs, la protection des travailleurs intérimaires, mais également l’environnement.

Sous le couvert de la simplification administrative, la Commission vise des réglementations sociales, comme la consultation des travailleurs en cas de licenciement collectif, de reprise de l’entreprise, de modification approfondie de l’organisation du travail. Toutes ces législations feront l’objet de futures évaluations dans le cadre de REFIT. La proposition d’instaurer une réglementation européenne minimale en matière de congé de maternité a également été retirée et d’autres règles relatives à l’information et à la consultation des travailleurs, mais aussi sur les droits des consommateurs et les normes environnementales, sont soumises au feu nourri des critiques.

Les accords négociés de manière autonome par les partenaires sociaux européens ne sont eux aussi pas épargnés, comme en témoigne notamment le refus de la Commission de donner suite à l’accord-cadre européen sur la protection de la santé et de la sécurité au travail dans le secteur de la coiffure. La Commission a annoncé sa décision sur l’accord dans le secteur de la coiffure sans en informer les partenaires sociaux concernés et base sa décision sur une évaluation incomplète du dossier puisqu’elle n’a même pas attendu les conclusions de l’évaluation qu’elle a elle-même lancée. Cet accord contient pourtant une série d’objectifs en matière de prévention et de protection de la santé sur le lieu de travail, d’environnement de travail, de normes de sécurité, de qualification du personnel, et d’harmonisation des conditions de travail (concernant p.ex. la manipulation des produits cosmétiques cancérigènes, la protection des voies respiratoires, etc.).

Autre fait alarmant, la Commission s’attaque désormais, au nom d’une « Meilleure réglementation », au fardeau réglementaire que représente à ses yeux le droit des Etats-membres de maintenir ou de prévoir des normes et des droits allant au-delà des exigences minimales imposées par la réglementation européenne. Les Etats-membres allant au-delà de ces exigences minimales lorsqu’ils transposent une directive en droit national, sont désormais accusées de « Sur-réglementer ». Nous condamnons cette pratique de la Commission qui désire faire du minimum (européen) le maximum (national), et qui représente une violation des traités. Avoir au niveau national des normes plus exigeantes que les normes minimales acceptées au niveau européen ne relève pas d’une sur-règlementation, mais constitue au contraire un objectif légitime pour tout État membre qui recherche le bien-être de sa population.

Le projet européen risque de devenir un projet poursuivant un nivellement vers le bas. L’article 9 TFUE ne stipule-t-il pas au contraire que, « Dans la définition et la mise en œuvre de ses politiques et actions, l’Union prend en compte les exigences liées à la promotion d’un niveau d’emploi élevé, à la garantie d’une protection sociale adéquate, à la lutte contre l’exclusion sociale ainsi qu’à un niveau élevé d’éducation, de formation et de protection de la santé humaine » ?

Ensemble avec la Confédération européenne des Syndicats (CES), nous voulons que l’Union européenne opte résolument pour une meilleure réglementation européenne – plus large – pour la protection des travailleurs et des normes sociales et environnementales. Les programmes REFIT et « Meilleure Réglementation» ne peuvent pas nuire à la protection des travailleurs, à leurs droits à l’information ou à la protection de l’environnement et des droits des consommateurs. Il faut aujourd’hui absolument remettre en cause le lien entre déréglementation et renforcement de la compétitivité internationale et replacer au centre du jeu l’intérêt général européen à travers une politique d’investissement durable et créatrice d’emplois de qualité.

Nous espérons que vous serez sensible au maintien d’un socle social fort au niveau européen, et que des initiatives seront prises au courant de la Présidence luxembourgeoise de l’UE afin de remettre les dossiers relatifs à la mise en place d’une « Meilleure réglementation » au centre d’un vrai débat démocratique ne confondant pas efficacité et dérégulation.

En vous remerciant d’avance pour l’attention que vous accorderez à la présente, nous vous prions d’agréer, Monsieur le Premier ministre, nos salutations distinguées.

Pour le Secrétariat européen commun de l’OGBL et du LCGB Asbl,

Véronique Eischen,
Membre du bureau exécutif de l’OGBL.
Vincent Jacquet,
Secrétaire général adjoint du LCGB.

TTIP: le 8 juillet, le Parlement européen a tranché sur le sort de l’Europe

cube_europe_euDébut juin de cette année, le Parlement européen était censé se prononcer sur la résolution ayant trait à l’accord de libre-échange entre l’UE et les États-Unis. Le but déclaré de cette résolution étant de fournir – via le Parlement – des directives claires à la Commission européenne quant aux négociations futures à mener avec les États-Unis.

Or, le vote fut reporté en dernière minute. Une des raisons en fut sûrement l’absence de consensus sur les questions cruciales au sein même des différents partis. En outre, non moins de 116 (!) propositions d’amendements étaient sur la table.

Le mercredi 8 juillet, la proposition de résolution était une nouvelle fois soumise au débat et au vote par les membres du Parlement européen. Il y allait de thèmes vitaux, touchant de près au développement de notre démocratie et de notre modèle social, ainsi qu’aux normes régissant notre environnement, notre santé et notre protection en tant que consommateur.

Tout d’abord, en point de mire, la question sur la protection des investisseurs: les entreprises vont-elles pouvoir jouir du droit d’attaquer en justice (devant des tribunaux d’arbitrage privés (!)) et de réclamer des États – qui les auraient entravé dans l’exercice de leurs activités commerciales (sur la base de normes sociales ou environnementales édictées par les États en question) – des millions, voire des milliards en guise de dédommagement!? Autre question non moins importante: les différents États membres auront-ils encore la moindre possibilité d’adopter des lois dans l’intérêt de la collectivité, ou bien leur pouvoir décisionnel basculera-t-il du côté des négociateurs UE/États-Unis?
Le président du Parlement européen a essayé de rendre le texte plus clair sur ces points, en soumettant un texte de compromis, dans le but de surmonter le blocage actuel. Notons qu’au sein de son parti, les esprits sont très divisés en ce qui concerne les tribunaux d’arbitrage et la protection des investisseurs.

Malheureusement, la proposition de texte issue de la plume de Martin Schulz, qui a été soumise au PE n’est que de la poudre aux yeux. On y retrouve les tribunaux d’arbitrage dans le texte – seulement sous une autre forme! Quant à la protection des investisseurs, elle ne subira guère de changement. C’est la raison pour laquelle, à l’échelle européenne, des organisations et des syndicats se sont mobilisés contre ce compromis Schulz pour le moins boiteux. Ce d’autant plus qu’il existait une proposition de texte alternative de qualité, issue et soutenue par toute une série d’europarlementaires, un texte qui, lui, défendait des valeurs claires et qui plaçait l’intérêt collectif devant celui des investisseurs (*proposition d’amendement n° 27).

Les organisations signataires regroupées au sein de la plateforme luxembourgeoise Stop-TTIP – qui comprend des syndicats dont l’OGBL, des écologistes, des représentants des consommateurs et du Tiers Monde ainsi que des organisations du domaine social et environnemental – avaient lancé un appel à l’adresse des europarlementaires luxembourgeois pour qu’ils se prononcent en défaveur de la proposition alternative Schulz et en faveur de la défense des intérêts d’une démocratie, d’une protection de l’environnement et d’un modèle social digne de ce nom! Lesdites organisations (et syndicats) attendaient des europarlementaires luxembourgeois qu’ils soient tous présents pour voter et pour assumer ainsi leur responsabilité vis-à-vis des citoyens. Malheureusement, tous n’ont pas suivi l’appel de Stop TTIP et le texte a quant à lui bien été approuvé par le Parlement européen.

Au cours des huit derniers mois, pas moins de 483 organisations européennes ont réuni plus de 2,3 millions de signatures contre l’accord TTIP et contre la ratification de l’accord CETA (avec le Canada). Ce qui fait de Stop TTIP la plus importante initiative citoyenne qui ait jamais vu le jour!

(*) Amendment 27 reads as follows:“Ensure that foreign investors are not discriminated against and have equal treatment in their efforts to seek and obtain compensation, without them enjoy greater rights than those granted to national investors;oppose the inclusion of a dispute settlement mechanism between investors and states (ISDS) in TTIP, as there are other options to ensure the protection of investments, including domestic remedies;”

Communiqué par la plateformep luxembourgeoise Stop-TTIP le 7 juillet 2015