De Luca Visentini, Secrétaire Général de la CES Laurent Berger, Président de la CES Nora Back, Présidente de l’OGBL
L’Union Européenne est confrontée à la récession la plus profonde de son histoire, et la décision que prendront les dirigeants européens lors de la réunion virtuelle du Conseil européen ce vendredi aura des conséquences très concrètes sur la vie de millions de personnes et sur l’avenir de l’Europe elle-même, qui sont profondément liées.
Les dirigeants européens ont un choix historique à faire ce vendredi, lorsqu’ils se réuniront pour discuter sur les manières d’empêcher la crise sanitaire de se transformer en crise économique et sociale : vont-ils tirer les leçons de 2008 et choisir une reprise fondée sur la solidarité et la durabilité, ou opter à nouveau pour l’austérité et leur auto-préservation à court terme qui risquent de provoquer une division à long terme ?
La confiance du public envers l’UE a chuté dans tous les États membres à la suite de la crise financière, avec des baisses spectaculaires dans les pays les plus touchés par les politiques d’austérité qui ont coûté des emplois, réduit les salaires et paralysé les systèmes de soins, de santé et les services publics. Nous ne nous sommes pas encore totalement remis de cette crise et les effets du nouveau choc commencent à se faire sentir.
Au cours du premier trimestre de cette année, le PIB de l’UE a connu sa plus forte baisse en 30 ans, tandis que le nombre de personnes en emploi a fait marche arrière pour la première fois depuis 2013. Près de 60 millions de travailleurs ont été licenciés ou mis en chômage temporaire et des millions d’entreprises, notamment des PME, sont menacées de faillite. Le nombre d’emplois et d’entreprises définitivement perdus dépend de la réponse politique à la crise..
C’est pourquoi les dirigeants doivent soutenir la proposition de la Commission européenne de créer un fonds de relance de 750 milliards d’euros, dont les deux tiers prendront à juste titre la forme de subventions, plutôt que de prêts afin de ne pas générer une dette publique supplémentaire insoutenable, ainsi qu’un nouveau budget de l’UE suffisamment important pour relever les défis à venir.
S’ils le font, et s’ils y donnent suite par une action nationale intelligente soutenue par ce financement de l’UE, des millions d’emplois pourraient être sauvés et de nouveaux emplois de qualité créés. Par ailleurs, l’investissement public devrait augmenter d’un tiers, ce qui est un pas important dans la bonne direction. Cela devrait aller de pair avec un soutien massif à la demande économique intérieure et à la productivité, qui ne peut être obtenu que par une augmentation des salaires négociée par les syndicats et les employeurs dans le cadre de négociations collectives.
Comme en 2008, l’argent est assorti de conditions. Mais cette fois, les conditions proposées ne peuvent pas être liées à l’assainissement budgétaire, elles doivent être liées à des investissements dans la transition vers une économie verte et numérique plutôt que des privatisations ou la destruction des négociations collectives. Ces conditions sont un début, mais il faut aussi investir pour s’attaquer à l’emploi des jeunes et soutenir les services publics, les systèmes de santé, l’éducation et la formation.
Les financements de l’UE ne doivent pas aller aux entreprises qui refusent de négocier les salaires et les conditions de travail avec les syndicats ou qui privent les services publics de financement par l’évasion et la fraude fiscales. De même, les entreprises qui reçoivent de l’argent public doivent fournir des emplois décents et œuvrer à la réalisation des objectifs climatiques d’une manière socialement équitable. Les employeurs et les syndicats doivent également être impliqués dans la conception et la mise en œuvre des plans de relance nationaux.
Le plan de relance a la capacité de restaurer enfin la confiance dans l’Europe que les citoyens ont perdu lors de la dernière crise, en faisant la différence dans la vie des travailleurs à un moment où ils en ont le plus besoin. Mais pas si ce plan n’existe que sur papier et qu’il ne parvient pas aux travailleurs et aux entreprises à temps pour faire la différence. Les travailleurs ne remercieront pas leurs dirigeants nationaux d’avoir bloqué un plan qui pourrait sauver leurs emplois dans des discussions interminables.
Le plan bénéficie du soutien de la majorité des États membres et de dirigeants importants comme le président français Emmanuel Macron et la chancelière allemande Angela Merkel.
Nous appelons les opposants au plan de relance à prendre leurs responsabilités et à ne pas faire imposer des conditions insurmontables aux pays les plus durement touchés par le coronavirus au risque de leur faire subir en plus de l’austérité.
Aucun pays n’est à l’origine de cette pandémie, et aucun ne devrait être livré à lui-même pour en payer les conséquences. Tout comme le virus n’a pas respecté les frontières, la récession ne le fera pas non plus. Dans un marché unique européen, une crise dans une partie de l’Europe affaiblira l’économie de tout le continent.
Inévitablement, une autre crise économique et sociale prolongée se transformera en crise politique pour l’UE, mettant en péril la cohésion européenne, la démocratie et l’avenir du projet européen. Le plan de relance est le seul moyen de faire en sorte que l’Europe sorte plus juste, plus verte et plus unie de ces temps difficiles.
Les dirigeants doivent faire ce qu’il faut pour construire une Union européenne qui protège ses citoyens, ses travailleurs et ses entreprises.
Publié le 19 juin 2020
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