André Roeltgen, Président de l‘OGBL
La plateforme digitale Uber veut envahir le marché des taxis luxembourgeois. Cela-dit, sans pour autant fonctionner comme une entreprise de taxis régulière, qui disposerait des licences nécessaires et d’un propre parc automobile et qui aurait conclu des contrats de travail avec ses chauffeurs de taxi dont les conditions de travail et salariales seraient conformes aux dispositions prévues par le code du travail et les conventions collectives.
Uber refuse d’être un employeur et Uber n’investit pas non plus dans des taxis qui lui appartiendraient. En tant que service en ligne, UberProp met en contact, par l’intermédiaire d’une application sur smartphone ou bien par le biais d’internet, des clients et des conducteurs disposant de leur propre voiture, et encaisse une commission allant jusqu’à 20% du prix de la course, qui lui aussi est fixé par Uber.
Un commerce très juteux, qui ne s’appuie pas seulement sur un usage créatif de la technologie digitale, mais avant tout sur l’exploitation à outrance de cette nouvelle génération de «chauffeurs de taxis». Ce sont eux et non Uber qui prennent en charge les investissements en capitaux – en l’occurrence, le véhicule ainsi que les frais de carburant et d’assurances – et qui font le travail, celui de transporter des clients à un prix, qui n’a rien à voir avec un salaire normal. Uber ne paie ni salaire, ni sécurité sociale. On ne peut concevoir de travail plus précaire.
Uber considère ses «chauffeurs de taxi» comme des «partenaires», qui sont «des travailleurs indépendants et qui ne sont donc pas des salariés». Ceci vaut également pour les soi-disant «chauffeurs avec voiture de location». Le fait qu’Uber, une start-up américaine, soit côté en bourse et qu’il vaille entre temps plus de 60 milliards de dollars démontre à soi seul à quel point ce modèle de commerce digital, avec une armée mondiale de dizaines de milliers d’indépendants, est lucratif. Des investisseurs comme Goldman Sachs, Google, Toyota ou l’Arabie Saoudite, qui ont investi chez Uber, font la file pour prendre leur part à cette magnifique exploitation.
Uber est dangereux et doit être combattu aussi bien au niveau politique qu’au niveau social. A savoir, d’une façon catégorique. Uber ainsi que d’autres «plateformes digitales» ont pour ambition de dénaturer les relations entre travail et capital, entre salariés et employeurs.
Parallèlement à l’attaque générale portée sur les contrats de travail ainsi que sur les conditions de salaires et de travail, il est également question de l’avenir des systèmes d’assurances sociales et du court-circuitage des représentations légales des salariés tout comme des droits syndicaux de négociation.
Retour au 19e siècle. Le chauffeur de taxi Uber doit apporter sa propre voiture, comme le mineur devait acheter son propre bois pour sécuriser les galeries. Et le journalier d’antan revit aujourd’hui comme journalier digital. Chaque client qui se réjouit à court terme de pouvoir profiter du dumping des prix à la course, participe à sa manière à la promotion de ce modèle de commerce et de travail qui, d’une manière ou d’une autre, empiétera tôt ou tard négativement, que ce soit sur sa vie sociale ou professionnelle. Tôt ou tard.
L’OGBL appelle le gouvernement à rester intraitable et à ne rien céder. Et, Uber n’étant que la pointe de l’iceberg, un renforcement du droit du travail s’impose. La lutte contre ce pseudo-statut d’indépendant doit jouir d’une priorité politique de premier ordre. De bons emplois et de bonnes conditions de travail doivent être protégés face au danger imminent d’une telle exploitation des salariés et de l’appauvrissement social de notre société. Si, comme le mentionne la presse, le ministre Bausch a fait savoir d’un côté, que le gouvernement «n’est pas contre le principe de services de conduite de type Uber» et d’autre part, que «le gouvernement ne souhaite nullement du travail au noir et des pseudo-statuts d’indépendants sans sécurité sociale», l’OGBL doit faire remarquer au ministre qu’Uber ne serait pas Uber, si Uber n’était pas justement ce que le gouvernement ne souhaite pas avoir.
Parallèlement au renforcement de la législation nationale contre les pseudos-statuts d’indépendants, l’OGBL incite le gouvernement à défendre de manière offensive la nécessité de telles législations au niveau européen.
La discussion initiée par la Commission européenne au sujet d’un «pilier européen des droits sociaux» est une très bonne occasion à saisir pour le gouvernement en vue d’entamer une offensive sociale et progressiste: pour un bon travail et pour donner aux salariés au Luxembourg et en Europe des garanties de perspectives professionnelles et sociales.
La digitalisation de l’économie et de la société doit servir le bien-être des femmes et des hommes et non pas le profit des multinationales.
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