L’intention du ministre du Travail de libéraliser le travail du dimanche dans le commerce aiguise les appétits du patronat dans le secteur et prépare le terrain pour un élargissement des heures d’ouverture.
Lorsque le ministre du Travail Georges Mischo a annoncé, par voie de communiqué de presse, un vendredi soir, une réforme de la loi sur le travail dominical dans le commerce, il était clair qu’il s’agissait d’un retour de bâton à peine déguisé pour le coup d’éclat qui avait eu lieu, à peine trois jours auparavant, au Comité permanent du travail et de l’emploi (CPTE). Tel un prof dégainant une punition collective pour ses élèves qui auraient manqué de discipline, le ministre a voulu signaler que le chef en matière de conditions de travail, c’était lui.
C’est donc sur le dos des quelque 50 000 salariés du secteur du commerce — en majorité des femmes, des travailleurs frontaliers ou des résidents non-luxembourgeois — des salariés déjà exposés à une très grande flexibilité en ce qui concerne le temps de travail, gagnant des salaires parmi les plus bas, que le ministre du Travail tente d’asseoir son autorité. Non seulement il plante ainsi un nouveau poignard dans le dos du dialogue social – Mischo avait promis au sein même du CPTE de ne pas mettre les syndicats devant le fait accompli en matière de travail dominical — mais il affaiblit aussi par la même occasion les conventions collectives dans l’un des secteurs ayant le plus faible taux de couverture conventionnelle (38 % en 2018).
La question des dimanches, éternel débat dans le secteur, avait toutefois pu être résolue dans toute une série d’entreprises dans le cadre de conventions collectives, garantissant non seulement des contreparties adaptées, mais aussi un contrôle sur la question du travail dominical de la part des organisations syndicales, en tant que représentantes des salariés du secteur.
Mais reprenons les choses dans l’ordre: actuellement, le Code du travail interdit en principe le travail dominical, puis il fait une liste d’exceptions à cette interdiction. Une des exceptions concerne le secteur du commerce de détail, où le travail dominical est autorisé à condition qu’il ne dépasse pas 4 heures par salarié et par dimanche. Cette question relevant du droit du travail n’est en soi pas directement liée à celle des heures d’ouverture des commerces, qui la conditionne toutefois fortement.
Néanmoins, la réalité concernant les heures d’ouverture — des ouvertures tous les dimanches dans certaines régions du pays par le biais de dérogations ministérielles — avait amené pendant une bonne dizaine d’années une partie des entreprises du secteur à ne plus respecter cette limitation à 4 heures. Dans le cadre d’une vague de contrôles menées par l’ITM en 2020, de nombreuses contraventions à la loi avaient ainsi été constatées. Par la suite, les entreprises contrôlées avaient dû se conformer à la loi.
A ce moment-là, l’OGBL avait pris ses responsabilités et avait ouvert des négociations avec la Confédération luxembourgeoise du Commerce (aujourd’hui Luxembourg Confederation) pour tenter de trouver une solution sectorielle. Les négociations avaient échoué à cause d’un blocage du côté patronal, qui n’était pas disposé à entendre parler de convention collective sectorielle ou de branche.
Faute d’accord sectoriel, l’OGBL avait ensuite commencé à négocier des accords sur le travail dominical dans le cadre de conventions en entreprise. Ainsi, il avait ouvert la possibilité aux entreprises demandeuses de porter la durée de travail maximale le dimanche à 8 heures, sous réserve de contreparties satisfaisantes, et à condition d’un commun accord entre employeur et salarié. Ceci avait permis non seulement de renforcer les conventions collectives existantes, mais également d’en négocier et d’en signer de nouvelles. Plus d’un millier de salariés supplémentaires ont ainsi pu être couverts par une CCT dans le secteur.
Et c’est précisément à cette dynamique positive que le ministre met désormais un coup d’arrêt avec son attaque contre la protection des salariés en matière de travail dominical.
Le fait que ce soit un ministre prétendument «chrétien-social» qui libéralise le travail du dimanche revêt une certaine ironie de l’histoire. Non seulement Mischo affaiblit les conventions collectives existantes et casse les efforts syndicaux tendant vers un plus fort taux de couverture, mais il ôte également toute protection aux salariés concernés. En effet, dans le projet de loi qu’il a déposé, il n’y est plus question de communs accords. Tout salarié pourra ainsi être forcé à prester 8 heures le dimanche.
Le fait que, dans son communiqué de presse, le ministre parle d’un pas vers une meilleure «work-life balance» est carrément une gifle pour tous ces salariés qui ont des enfants et qui peinent déjà à concilier leur vie de famille et leur travail dans un secteur enclin à des horaires ultra-flexibles. Ici encore, c’est donc un ministre issu d’un parti politique qui prétend défendre les familles et l’éducation des enfants qui s’attaque frontalement aux efforts d’éducation de ces mêmes familles. En effet, contrairement à ce que prétend Mischo, qui n’a jamais mis un pied dans une entreprise en dehors de visites officielles: devoir travailler les dimanches complique très fortement la vie familiale des personnes concernées.
Et l’ironie ne s’arrête pas là: le ministre des Sports Georges Mischo annonce le matin vouloir renforcer le bénévolat — tandis que l’après-midi, le ministre du Travail Georges Mischo libéralise le travail dominical et enlève ainsi par la même occasion aux 50 000 salariés du secteur la possibilité d’être bénévoles.
Avec son attaque frontale contre tous les salariés du commerce — et des métiers de bouche qui sont également concernés — Mischo n’aiguise pas seulement les appétits du patronat dans le secteur, qui a lancé depuis lors une offensive médiatique antisyndicale, antipersonnes malades et anti-ITM, mais il prépare également le terrain pour une nouvelle libéralisation des heures d’ouverture. Une libéralisation déjà en voie de préparation par un autre ministre, celui de l’Economie…
S’ils ne veulent pas être les dindons de la farce, les salariés du Commerce, mais en réalité tous les autres salariés du pays également — parce que ce gouvernement ne s’arrêtera pas là — vont devoir se mobiliser. L’OGBL, qui par ailleurs fait front commun avec le LCGB dans le secteur du commerce, comme ailleurs, est prêt à relever le défi et à tout mettre en œuvre pour contrer les politiques réactionnaires du gouvernement.
L’article a été publié dans l’Aktuell (5/2024)
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