Cela a été la première grève illimitée dans le secteur social et de la santé au Luxembourg. Et cela a été la plus longue grève au Luxembourg depuis 23 ans. Après 11 jours de cessation de travail, l’initiative du ministre de la Sécurité sociale, Romain Schneider, adoptée unanimement par le Conseil de gouvernement le 15 juin, a eu pour résultat que les employeurs ont dû céder aux revendications légitimes des grévistes et que ces derniers ont repris le travail.
Le ministre de la Sécurité sociale n’était pas dans l’obligation de prendre une initiative. Il l’aurait été s’il avait été responsable politiquement de ce conflit. Mais il ne l’était pas. Il ne s’agissait pas d’une grève contre le gouvernement. La grève était dirigée contre les employeurs de la maison de soins de Sodexo «An de Wisen» à Bettembourg, des «Parcs du 3e Âge à Bertrange» et des maisons de soins du groupe Zitha. Appelons-les le groupe des faucons.
On peut supposer que ces derniers ont été les véritables initiateurs et instigateurs de l’action concertée des employeurs qui, dès octobre 2017, ont privé les quelque 700 salariés des dispositions améliorées de la nouvelle convention collective et qui ont attaqué jusqu’alors les conditions de travail qui s’appliquaient.
Au début du mois de novembre 2017, le syndicat Santé, Services sociaux et éducatifs de l’OGBL a annoncé qu’il s’opposerait de façon conséquente à cette attaque. L’action commune des employeurs s’est vite émiettée, car les responsables des maisons de retraite et de soins publiques du groupe Servior et des hospices civils de la commune de Luxembourg n’étaient pas prêts à remettre en question la paix sociale et les relations de travail dans leurs établissements. Ils transposèrent les nouvelles conventions collectives pour le personnel concerné et respectèrent les droits acquis.
Mais pas les faucons. Se disant «coûte que coûte, désormais on va jusqu’au bout», ils tentèrent ensuite de remettre en question la procédure légale de conciliation. Lorsque cela échoua, ils restèrent arcboutés sur leur position. Des questions importantes se posent dans ce contexte. Ont-ils sous-estimé la combativité des quelque 300 salariés concernés? Croyaient-ils que les menaces et tentatives d’intimidation des employeurs retiendraient le personnel de recourir au dernier moyen d’action syndical à sa disposition, à savoir la cessation du travail afin d’assurer et protéger ses conditions de travail menacées?
Au plus tard, après les consultations du personnel fortement organisé au sein de l’OGBL qui se sont tenues à bulletins secrets à la maison de soins de Sodexo «An de Wisen» à Bettembourg et à la maison de soins «Les Parcs du 3e Âge» à Bertrange, débouchant sur presque 100% en faveur de la cessation de travail, il n’était plus possible d’ignorer la réalité.
Et malgré tout, les employeurs ont contraint les salariés à aller jusqu’à cesser le travail. Avaient-ils l’espoir que le personnel en grève s’effondrerait rapidement? Cet espoir se brisa immédiatement à la maison de soins de Bertrange où, après 3 heures de cessation de travail, c’est la direction qui s’effondra.
L’équation ne fut pas bonne, non plus, à la maison de soins de Bettembourg. Le moral du personnel gréviste était intact, même au 11e jour, celui de la fin de la cessation de travail. Du côté de l’entreprise, la situation était toutefois toute autre. Après quelques jours, la possibilité de rajouter de façon permanente des heures supplémentaires au personnel SAS, exténué, s’amenuisa tout doucement.
A ce moment-là, il devint clair que Sodexo n’avait plus qu’une chose en tête: s’il n’était déjà pas possible de briser la volonté du personnel de faire grève, alors il fallait tenir tête jusqu’à ce que le gouvernement, sous la pression de l’opinion publique, agisse et mette fin à la cessation de travail par le biais d’une injection financière supplémentaire.
Sodexo eut rapidement besoin d’une aide extérieure. Et celle-ci vint de Marc Fischbach, le président de l’organisation patronale Copas. Il lança un appel scandaleux aux directions de toutes les autres maisons de soins organisées au sein de la Copas les invitant à mettre leur personnel à disposition de Sodexo à Bettembourg. En d’autres mots: du personnel contraint à se transformer en casseurs de grève, financé par de l’argent public, devait être mobilisé à Bettembourg.
Une attaque unique en son genre contre le droit de grève au Luxembourg! Un procédé inacceptable qui n’est pas seulement indigne de la part d’un ancien juge à la Cour européenne de justice, mais qui occupera pendant longtemps encore les historiens et juristes qui s’intéressent au droit de grève.
La Copas n’en resta pas là et attaqua de manière générale le droit de grève du personnel du secteur social et de la santé en revendiquant l’introduction d’un droit de réquisition pour les entreprises où se déroule une grève. Une attaque frontale supplémentaire contre les libertés syndicales ancrées dans la Constitution.
Heureusement, aucune direction d’une autre maison de soins ne commit cette infraction. A une exception près, Sodexo lui-même, qui envoya du personnel, en tant que casseurs de grève, à partir d’autres maisons de soins lui appartenant. L’OGBL réagit immédiatement à Bettembourg en installant des postes de grève, leur barrant le passage. Sodexo appela la police qui menaça de faire évacuer tout le monde.
L’OGBL réagit sagement et empêcha que la situation n’escalade. Mais l’immixtion officielle de la Copas et l’attitude de Sodexo déclenchèrent la prochaine grève, à savoir dans les maisons de soins du groupe Zitha à Pétange et dans l’établissement St-Jean de la Croix à Luxembourg-ville.
Et ils obligèrent l’OGBL à préparer rapidement une large mobilisation du personnel du secteur social et éducatif au Luxembourg, afin de défendre le droit de grève commun à tous et soutenir leurs collègues grévistes.
Il n’en alla pas jusque-là, parce qu’au regard de ces développements, le ministre de la Sécurité sociale et l’ensemble du gouvernement prirent leur responsabilité politique, afin de rétablir la paix sociale et le fonctionnement normal dans les maisons de soins.
La grève est finie. Les grévistes ont imposé leurs revendications légitimes. Déjà en février 2017, lorsqu’une grève, pour les mêmes raisons, avait pu être évitée à la dernière minute à la maison de soins de Sodexo, je revendiquais dans une lettre ouverte que «les bonnes leçons de la grève évitée» soient tirées. Avant tout, je mettais en garde quant à l’intrusion progressive de groupes multinationaux dans le secteur social et de la santé au Luxembourg. Les multinationales n’ont pas de valeurs philanthropiques. Elles sont au service de leurs actionnaires et non au service des personnes qui ont besoin de soins. Pour elles, le soin est une marchandise et le travail professionnel de ceux qui exercent des métiers du social et de la santé ne sont qu’un instrument pour générer du profit capitaliste.
Leurs méthodes d’organisation des relations de travail ne sont pas compatibles avec notre modèle traditionnel de collaboration harmonieux entre directions et personnel, au service des personnes à soigner et à accompagner. Les établissements publics, ceux de la Croix Rouge, de la Caritas et de nombreuses autres organisations encore que les droits humains fondamentaux importent, doivent réagir. Ils doivent empêcher que ces évolutions négatives ne s’imposent dans leurs entreprises ainsi que dans leur propre organisation patronale. Les relations sociales dans l’ensemble du secteur social et de la santé en dépendent. Et avec cela, finalement aussi la paix sociale et le respect des libertés syndicales.
En cas de besoin de maisons de soins supplémentaires et d’autres structures, il doit être investi publiquement. L’extension supplémentaire d’entreprises privées et commerciales, que ce soit Sodexo ou comme très récemment le fonds d’investissement belge Vulpia, doit être stoppée dans le secteur des maisons de soins, dans le secteur de la santé en général! La politique est appelée à agir.
André Roeltgen, Président de l‘OGBL Juillet 2018
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